الديون

Privatisation…le vol reprend de plus belle

La vente de 20% de la BCP, de 7% d’IAM et 100% de la Société de Sel de Mohammedia (SSM) par le gouvernement confirme le retour des privatisations. Zoom sur les nouvelles méthodes d’un pillage public.  

 

Salaheddine Lemaizi

ATTAC/CADTM Maroc

 

C’est confirmé, les privatisations sont de retour ! Depuis 2007, l’Etat n’avait pas mis en vente aucune des grandes entreprises publiques. Dans un laps de trois mois, la vente des entreprises étatiques reprend et de plus belle. Premier acte, mai 2011, le gouvernement cède 20% de la Banque centrale populaire (BCP). Présentée comme une opération financière qui servira au développement stratégique de la banque étatique et comme un moyen pour booster la bourse, cette cession de participation ne peut s’appeler qu’une privatisation. «Cette opération, qui s’apparente bien à une privatisation, même si elle diffère du modèle classique, permettra d’injecter 5,3 milliards de DH (MMDH) dans les caisses de l’État», écrit le quotidien Les Echos[1]. La cession n’est pas une surprise au final. Salaheddine Mezouar, ministre des finances avait annoncé sa volonté de vendre les banques étatiques à hauteur de 15%.

Deuxième acte, en juin, l’Etat vend la SSM[2], le repreneur est le groupe marocain Delta Holding (la famille Fahim), l’opération rapporte à l’Etat 655 millions de DH. Programme depuis une quelques années cette vente servira à boucler le budget 2011 et payer «la facture du dialogue social qui a coûté 5 milliards», argumente les responsables au moment de la vente.

En juin, ce gouvernement – dénié de toute légitimité- nie vouloir céder d’autres actifs de l’Etat. «La seule société dont le dénouement de l’opération de privatisation aura lieu dans peu de temps, est la SSM», déclare au quotidien Les Echos, Mohamed Samir Tazi, directeur des entreprises publiques et de la privatisation au sein du ministère des Finances.

Ce responsable se fera désavouer S. Mezouar, son supérieur, quelques jours plus tard. Jamais deux sans trois. Le gouvernement remet sur la table 7% de ses actions dans IAM. L’an dernier, il avait annoncé la vente de 8% de ses parts dans l’opérateur historique avant de se rétracter. À la mi-juillet, l’Etat annonce la vente de 7% de ses parts dans IAM. Cette cession se fera par la Bourse de Casablanca et pourra remporter plus de 11 MMDH. Sauf que comme le souligne Les Echos, cette vente «priverait l’État d’une ressource avoisinant le milliard de DH par an, relative aux remontées de dividende correspondant à ces parts».

Au-delà du caractère conjoncturel de ces opérations, ces trois privatisations résument la nouvelle politique de l’Etat en matière de privatisation.

 

«Tout est à vendre» !

Le début de cette nouvelle ère de privatisations remonte à 2008. Le premier à l’avoir annoncé est L’Economiste[3]. Ce quotidien annonce la cession au secteur privé de fleurons de l’économie nationale (BCP, La RAM, l’ONCF, Al Omrane, Autoroutes du Maroc (ADM), 2M, Laboratoire public d’essais et d’études (LPEE), le bureau d’études Conseil ingénierie et développement (CID), Supratours…). «Pour réaliser ces grosses privatisations, les Finances tablent sur un calendrier serré, ‘’une année, au plus tôt’’, selon une source proche du dossier», prédisait même le quotidien appartenant en partie au groupe ONA.

Annoncer ce programme n’était pas une mince affaire, il fallait bien tester et L’Economiste a visiblement rendu ce service au trésorier du royaume. Pour amuser la galerie, rien de mieux qu’Abbas El Fassi caricaturé en Une qui ose un «tout est à vendre».Le «scoop» du quotidien du patronat marocain ressemblait plutôt à une fuite organisée de l’information, un ballon d’essai pour sonder la réaction des milieux d’affaires, des politiques et des observateurs.

Désormais, un tabou est brisé, une étape qui dure depuis environ quatre ans s’est achevée, une nouvelle étape commence en matière de privatisation, de nouvelles formes et des processus sont en train d’être mis en place. La vente du patrimoine étatique reprend et de plus belle. Le tout en catimini ou presque.   

 

Une pause pour mieux privatiser

Pensé au milieu des années 80 par Hassan II et son équipe, sous les «conseils» du FMI et de la Banque mondiale, les privatisations deviennent une politique publique à partir du 8 avril 1988, le jour où Hassan II prononce son fameux et incroyable discours[4] en ouverture de la session du printemps de la Chambre des représentants. Cette allocution aura une valeur de loi et la privatisation «ne doit pas faire l’objet de débat», dixit le défunt monarque absolu. Après une période de mise à niveau et de préparation juridique[5] les privatisations commencent en 1993.

Cette année-là la vente des avoirs de l’Etat rapporte 2 MMDH, l’année 1997 ces recettes atteignent 6 MMDH, avant de chuter à 19 millions de DH en 1999. L’année 2001 détient record avec 23.3 MMDH, (35% du capital de Maroc Télécom à Vivendi), suivi de 2003 avec 14.1 MMDH (Régie des Tabacs), 2005 avec 13.5 MMDH avant de retomber à 6 MMDH en 2007 (COMANAV, Drapor et 4% de Maroc Télecom). Depuis, le processus de privatisation est quasiment en stand by. En 2010, ces recettes étaient d’à «peine» 70 millions DH.

Un arrêt temporaire qui s’explique par : 1. Les bonnes saisons agricoles consécutives.2. L’envolée des prix des phosphates sur le marché mondial 3.La hausse des recettes fiscales (spécialement la TVA) et des Investissements direct étrangers (IDE) à destination du Maroc. Globalement la bonne santé de l’économie marocaine. Quoique certains discours alarmistes nous font croire qu’il y a feu dans la demeure, surtout après la hausse des cours des matières premières et ce qu’a eu comme impact sur la caisse de compensation. D’ailleurs l’économie marocaine et malgré la crise économique internationale a connu une croissance moyenne entre 2008 et 2010 de 3.5%. Tout ceci profite bien évidement aux classes dominantes.    

Durant cette pause des privatisations, l’Etat marocain d’inspiration néolibéral ne perdait pas de temps. Des missions d’évaluation de placement et d’assistance juridique pour céder de «petites» entreprises publiques  comme BIOPHARMA (Fabrication de produits pharmaceutiques et vétérinaires), SSM et SCS (production de sel) SOCOCHARBO (négoce de charbon et bois), BTNA (briqueterie et tuilerie) et COTEF (textile).

Ce break a permit aussi de préparer à travers la transformation des établissements publics industriel et commercial en Sociétés anonymes (SA). Ainsi l’OCP, l’ONCF, l’ODEP, l’ERAC, Barid Al Maghrib, l’Office de commercialisation et d’exportation et l’Office National des Transports ont été transformés en SA. Depuis, on parle du groupe OCP SA, SMCF, Marsa Maroc, Al Omrane, Poste Maroc,  Maroc export, SNTL.

L’autre mesure actuellement en marche pour faciliter de possibles privatisations, c’est la segmentation des activités de certaines de ces entreprises. Par exemple, la RAM est composée de plusieurs petites entreprises (Atlas Hospitality, Atlas Cataring, Atlas Blue…) prêtes pour des «mini privatisations». De même pour l’ONCF avec Supratours, l’agence de voyage Supratours, Supratours messagerie, le portefeuille hôtels composé du Michlifen Ifrane Resort & Spa[6]. Egalement Poste Maroc avec Barid Bank et la prise de participation dans Sofac crédit. 

Ces changements de statut se feront pour «moderniser» et «rationaliser» ces entités, prétendent les responsables marocains. «Les objectifs de cette stratégie vise à préparer la nouvelle entité à l’ouverture du capital et/ou à la privatisation», avait affirmé Abdelaziz Talbi, ex-directeur des Entreprises publiques et de la Privatisation au ministère des Finances et de la Privatisation, le responsable ajoute : «le Maroc ne pouvait pas rester en dehors des contraintes de la mondialisation».

 

Mondialisation quand tu nous tiens…

Mondialisation rime avec libéralisation. Avant de privatiser ce qui ne l’est pas encore, l’Etat a aussi était chargé par ses «partenaires» d’ouvrir ses secteurs névralgiques à la concurrence. Le cas du secteur portuaire est édifiant. Après la privatisation de Comanav et Drapor, Marsa Maroc s’est vue couper les ailes. Son champ d’activités s’est réduit énormément et certainement ses recettes. L’Etat crée dans le cadre de cette réforme, l’Agence nationale des ports (ANP) chargé d’appliquer la réglementation. Marsa Maroc est désormais une entreprise comme une autre, soumise aux règles du marché.

La réforme du secteur aérien est de la même nature, l’Open sky fait de la RAM une entreprise comme une autre dans l’espace aérien. Dans cette concurrence féroce entre les low cost et l’entreprise marocaine, la RAM ne tire pas son épingle du jeu. Ceci explique les pertes financières du «porte drapeau marocain» et pourrait donner de «bonnes» raisons pour privatiser l’entreprise.

Le secteur ferroviaire n’est pas en reste, l’ONCF a perdu le monopole des rails au Maroc. L’Office vient de signer une concession avec l’Etat de 50 ans. Ce nouveau statut prévoit «l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence en autorisant l’arrivée de nouveaux opérateurs qui pourront investir dans des projets de nouvelles extensions d’infrastructures».

Toujours dans le cadre de la libéralisation, le Maroc est aujourd’hui contraint par l’Union européenne (UE) de «harmoniser» ses lois pour être en conformité avec le marché européen. L’adoption de la loi de protection des consommateurs, la création de l’ONSSA (office nationale de sécurité sanitaire et alimentaire) font parti de cette harmonisation qui répond à une demande de libéralisation.  «Ces libéralisations sectorielles débouchent dans la plupart des cas sur la transformation d’établissements publics en sociétés anonymes potentiellement privatisables en totalité ou en partie», avoue L’Economiste en 2008.      

 

Prochainement sur vos écrans, une série de privatisations

Après que ce travail juridique a été bouclé, il a été temps de reprendre la vente des joyaux de la couronne mais dans des nouvelles conditions. Les maitres-mot sont directement sortie des manuels de la Banque mondiale, de l’OCDE, de l’UE, des agences de notation et d’évaluation : bonne gouvernance, transparence, partenariat public-privé.

Et le ministère des Finances a apprit la leçon, finit les cessions douteuses et louches comme du temps de Hassan II, nous dit-on. Pour le cas de la vente de la SSM à Haj Fahim, «Le processus de transfert de la société a été engagé en 2010 en toute transparence, sous la supervision de la Commission des transferts et de l’organisme d’évaluation et avec l’accompagnement du département ministériel de tutelle», affirme le département des Finances en juin dernier.

Aujourd’hui, les temps ont changé ou presque, le ministre des Finances n’est plus le «socialiste» Fathallah Oulalalou mais l’homme d’affaire et ex-lobbyiste du secteur du textile ; S. Mezouar[7]. Ce département s’est débarrassé du titre encombrant de ministère de la privatisation. Cette tâche sera gérée par la Direction des Entreprises publiques (EP) et de la Privatisation. Curieux mélange, qui en dit long sur une direction qui s’occupe des EP et qui est en train de les préparer pour une vente aux enchères.

Autre changement notable, c’est celui du discours. La novlangue néolibérale n’a pas de limite. Fini le temps des privatisations, désormais le ministre de l’Economie et les DG des offices publiques parlent de prise de participation, de partenariat ou d’une introduction en bourse qui n’est finalement qu’une privatisation déguisée.

Ce qui est frappant dans cette vague de privatisation qui se prépare c’est qu’elle touche des entreprises publiques en très bonne santé financière et qui ne souffre pas dans mauvaise gestion. C’est le cas de la SSM, «La situation financière de la société est très propre et très rentable», se réjouit Delta Holding.

Ainsi, les prochaines privatisations obéissent à trois critères : 1- L’entreprise doit être potentiellement viable. 2. Elle doit être attractive aux yeux des investisseurs. 3-  Elle se doit d’opérer dans un milieu concurrentiel. Entre 2007 et 2011, l’Etat s’est efforcé «d’embellir les mariés» pour ensuite les offrir à des multinationales étrangères, les céder à des capitalistes nationaux ou les mettre à la disposition de la finance nationale. Ceux qui voudrons céder l’ADM ou Al Omrane commettrons un crime économique contre notre pays.   

 

Défendre notre bien commun

En tant qu’ATTAC, ce retour furtif des privatisations doit nous permettre de prendre à nouveau ce dossier en main sur cette thématique. Les méthodes de l’Etat ont beaucoup changé, les privatisations prennent des formes encore plus «financiarisés» ou déguisées (la sous-traitance, l’externalisation, les PPP, etc…) vendues dans un package de «bonne gouvernance».

Le travail sur cette thématique ne fait que commencer et dire que le Maroc a tout vendu me semble une thèse tout à fait erronée. Le portefeuille public comprend encore 423 sociétés de différentes formes. De l’OCP à la toute petite entreprise publique, c’est notre bien commun qu’il s’agit de défendre face à des décideurs politiques alliés à des capitalistes nationaux et internationaux prêts à continuer le pillage des richesses de tout un peuple.  

 

S.L.

ATTAC/CADTM Maroc

 


[1]Le revers de la médaille, Les Echos du 25-05-11 voir http://www.lesechos.ma/evenements/11280-le-revers-de-la-medaille.html 

[2] Créée en 1974, l’entreprise a un CA de 120 MDH en 2010, elle a produit quelque 600.000 tonnes de gros sels, dans 50% destiné à l’export. Sa marge nette est de 55%. Voir www.ssm.ma

[3] Privatisations: Un calendrier serré, L’Economiste du 15-10-2008, voir http://www.leconomiste.com/article/privatisations-un-calendrier-serre?page=1

 

[4] À lire sur http://doc.abhatoo.net.ma/doc/spip.php?article325

[5] La 1ère  loi réglementant la privatisation remonte à 1989 (n° 39-89), elle a été complétée par une autre en 1999(n° 34-98), puis une dernière en 2003 (n° 49-02).

[6]Ce palace a été construit pour faire plaisir à Hassan II, sous les frais de l’ONCF. Cet hôtel de luxe semble ne répondre à aucun critère de viabilité économique. Pour une visite virtuelle allez sur www.michlifenifrane.com/

[7] De 1993 à 2006, il est DG de l’entreprise espagnol Settavex et à partir de 2002, il est le président de l’AMITH, patronat de l’industrie textile.

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