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COP 21: 21 années de négociations pour rien Les peuples prennent l’initiative

COP 21

21 années de négociations pour rien

Los peuples prennent l’initiative

 

21 ans maintenant que se réunit  chaque année la COP (Conférence des parties) sur le changement climatique, sans avoir avancé un tant soit peu dans la prise de décisions qui pourraient constituer le début d’un premier pas vers une réduction – aussi minime soit-elle – des émissions de gaz à effet de serre (GES), responsables du changement climatique. Les gouvernements, il est vrai, se sont félicités d’être parvenus à une reconnaissance unanime de l’existence du réchauffement climatique et de la nécessité de chercher des solutions (on aurait gagné du temps pour parvenir à ce résultat si certains lobbies n’avaient pas dépensé autant d’argent à essayer de les convaincre du contraire[1]). Ils se sont également félicités d’être parvenus à énoncer un objectif concret : limiter le réchauffement climatiques à 2 degrés, voire 1,5  d’ici à 2100. Il aura fallu des jours et des nuits de travail pour parvenir à ce résultat qui, s’il traduit effectivement la prise de conscience des dangers qui nous menacent, n’est accompagné d’aucune mesure concrète pour y parvenir. Des contributions ont été présentées par les Etats, mais de façon volontaire, sans que n’ait été analysé leur degré de sérieux et d’efficacité[2] et sans être accompagnées d’un quelconque mécanisme de contrôle et encore moins de sanctions. A aucun moment elles ne remettent en cause le modèle productif en vigueur, au service de la finance internationale et des multinationales, qui repose sur une consommation effrénée et un usage exponentiel des matières premières et des sources d’énergie fossile. Il n’est question de rien de tout cela dans le texte de l’accord final.

Les accords sont si ambigus et les COP si peu efficaces que diverses estimations évaluent que l’on se dirigerait plutôt vers un scénario de réchauffement supérieur à 3 degrés d’ici à la fin de ce siècle[3]. Mais cela n’est pas seulement un indicateur de la crise climatique. « Des sociétés à faibles émissions de GES ne sont pas une garantie de justice environnementale ni de non dépassement des limites de la planète »[4].

 

Le  Tribunal des droits de la nature

C’est dans ce contexte que s’est tenue, à la Maison des métallos à Paris,  la 3ème session du Tribunal des droits de la nature, dans le même temps que la COP 21. Dans cet espace, les problèmes  réels, concrets, ont été présentés et débattus[5], du point de vue de la base, des populations affectées, dans une perspective critique de la crise climatique que nous vivons, faisant le lien avec « la crise de civilisation liée au métabolisme prédateur induit par le système capitaliste international et la rupture brutale qi est intervenue dans la reproduction de la vie »[6].

Ce  Tribunal des droits de la nature s’est déclaré compétent pour juger des thématiques en relation avec le changement climatique, en totale indépendance des COP.

Le premier Tribunal permanent des droits de la nature et de la terre-mère a siégé le vendredi 17 janvier 2014 à Quito (Equateur) et a été présidé par Vandana Shiva, à partir du constat  que « les gouvernements ont dérogé à leur responsabilité de  garantir le respect de ces droits » et que la société civile internationale a le devoir de « prendre l’initiative pour qu’ils soient effectifs» [7].

Convaincu que « les Droits de la nature nécessitent un changement de civilisation qui remette en question les logiques anthropocentriques dominantes »,  le Tribunal s’insère dans un courant important en Amérique Latine ainsi que sur les autres continents  qui défend l’idée que la nature a des droits et qu’il faut donc les respecter et les garantir.

Ce n’est pas un hasard si le Tribunal a son siège en Equateur, qui est le premier pays à reconnaître dans sa Constitution de 2008 la Nature comme sujet de droit (ce qui ne veut pas forcément dire que cela soit mis en pratique).

Le texte fondateur et de référence du Tribunal est la Déclaration universelle des droits de la terre-mère, adoptée le 20 avril 2010 à Cochabamba (Bolivie) lors de la Conférence internationale des peuples sur le changement climatique et les droits de la terre-mère, tenue juste après le quinzième échec de la COP qui s’est tenue à Copenhague en décembre 2009. « Cette  Déclaration  soulève le droit de la Nature à exister et à être respectée, son droit à être régénérée et sauvegardée de façon intégrale.[8] » En septembre a été créée une  Alliance globale pour les droits de la terre, en septembre 2010. Et c’est de là qu’est née l’idée du Tribunal, proposée par Alberto Acosta, qui a été le Président de la Assemblée constituante équatorienne, s’inspirant du Tribunal Russell y du Tribunal permanent des peuples.

Ce Tribunal n’est pas seulement un outil de diffusion internationale de la culture des droits de la nature et de pression pour que l’ONU adopte une Déclaration des droits de la nature et reconnaisse l’écocide comme un crime international. Il se positionne aussi clairement aux  côtés de la nature, des êtres humains et des communautés , contre les agressions qu’ils subissent de la part d’un système de production et de consommation qui les affectent  pour le plus grand profit des  entreprises, des multinationales  et des spéculateurs.

Au lieu de passer un temps fou, comme l’a fait la COP, à rédiger un texte de déclaration, à mettre des crochets puis à les enlever, qui n’est en dernière analyse qu’une déclaration d’intentions , le Tribunal est parti de cas concrets de dommages subis par la nature et ses habitants pour comprendre quels sont les mécanismes de la déprédation ; quels en sont les responsables ; comment on peut réparer les dommages et rechercher des alternatives permettant aux communautés de bien vivre  en harmonie avec la nature dont elles font partie.

Ainsi, lors de cette 3ème session, présidée par Cormac Cullinan, avocat environnementaliste sudafricain, le Tribunal a  écouté pendant deux jours les témoignages et expertises de près de 65 personnes venant de 32 pays des cinq continents parlant, dans leurs propres langues, en tant que juges, défenseurs de la nature,  témoins ou experts, devant un public de quelques 600 personnes.

Cela a permis de mettre en évidence la responsabilité directe des politiques néolibérales dans la violation des droits de la nature (par le truchement des accords de libre échange, de la marchandisation et financiarisation de la nature, de la dette, de l’extractivisme…)  ainsi que celle des multinationales de l’agrobusiness, de la pêche industrielle, de l’exploitation des hydrocarbures fossiles  non conventionnels par la technique de la fracturation hydraulique, etc.

Cette méthodologie a permis l’irruption dans le débat des peuples du monde venus dans cette salle du centre de Paris exposer leurs cas concrets, leurs expériences vécues dans leur chair, montrant par là de façon tangible la proximité des problèmes rencontrés par les producteurs indiens de coton, les Texans de Huston (USA), avec ceux des Algériens de In Salah en lutte contre le fracking, des peuples originaires de l’Amazonie équatorienne ou brésilienne, de la Patagonie argentine, du Canada ou du Nigeria affectés par l’exploitation pétrolière. La grande salle de la Maison des métallos était bien petite pour contenir cette irruption des peuples unis dans un même rejet des violences qu’ils subissent et qui affectent dans le même temps la nature et l’environnement. Qui touchent aussi bien les peuples du Nord industrialisé que ceux du Sud dépendant. Et dans tous les cas présentés, une constante : la criminalisation et la répression des résistances. Les citoyens non seulement sont les victimes des pollutions et dommages créés par l’exploitation à outrance du sous-sol et du sol mais ils sont violemment empêchés de se plaindre et de dénoncer les conditions dans lesquelles ils se voient obligés à vivre.

Loin des discussions sur les virgules et les crochets de la COP 21,  au Bourget, le Tribunal des droits de la nature a permis d’entendre et de voir à quel point il est urgent pour les peuples d’arrêter le réchauffement climatique et la destruction de la nature et de l’environnement. Cela suppose de grands bouleversements dans les modes de production et de consommation, qui donnent la priorité à la soutenabilité de la vie, reconnaissent l’interdépendance de la vie humaine avec la nature  et mettent l’objectif du bien vivre des populations avant toute autre considération. Et cela suppose que chacun puisse s’exprimer dans sa propre langue, selon sa propre culture et ses propres valeurs, sans intermédiaire ni reconstruction de son discours.

Le Tribunal a jugé que l’ensemble des cas qui lui ont été soumis présentaient de claires violations des droits de la nature et s’est prononcé pour :

  • la reconnaissance du crime d’écocide qui puisse être dénoncé devant la Cour internationale de justice..
  • le maintien des sources d’énergie fossiles dans le sous-sol
  • la création du Tribunal international de justice environnementale.

Le Tribunal a condamné la COP 21 pour son incapacité à faire face à la question du changement climatique et à défendre l’intégrité des écosystèmes, de la nature et des peuples originaires. Il a condamné la violence du terrorisme et affirmé qu’il ne peut y avoir de paix entre les peuples s’ils ne vivent pas en paix avec la nature.

 

 

Lucile Daumas

Buenos Aires

Février  2016

 

Voir :

 https://www.youtube.com/watch?v=cXVrxNwGLuw&feature=youtu.be

http://therightsofnature.org/tribunal-internacional-derechos-de-la-naturaleza/

 

 

[1] Voir par exemple Les climatosceptiques qui valaient des milliards, Le Monde, 31 décembre 2012.                        http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/12/31/les-climatosceptiques-qui-valaient-des-milliards_4341572_3244.html

ou encore : le lobby climatosceptique financé par le pétrolier Exxon. http://www.lefigaro.fr/international/2010/07/19/01003-20100719ARTFIG00449-le-lobby-climatosceptique-finance-par-le-petrolier-exxon.php

[2] cf . Attac Maroc, Déclaration de presse: construisons un contre-pouvoir écologique et climatique au Maroc, 01/12 2015. https://attacmaroc.org/fr/2015/12/01/350/

[3]  Voir: https://france.attac.org/actus-et-medias/salle-de-presse/article/reaction-d-attac-france-a-l-accord-de-paris

[4]             Emiliano Teran Mantovani, Escapar de Paris: por una justicia ambiental desde los territorios, Rebelión, 14/12/2015, http://www.rebelion.org/noticia.php?id=206755.

Texte en espagnol  “Sociedades de baja emisión de GEI no garantizan que se alcance una justicia ambiental, ni que se evite desbordar los límites del planeta”Traduction L .D.

[5]             http://therightsofnature.org/tribunal-internacional-derechos-de-la-naturaleza/ Texte en espagnol. Traduction L.D.

[6]          Ibid.

[7]          Ibid.

[8]                     Ibid.

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