L’association ATTAC CADTM Maroc a organisé la 18e session de son Université d’été à Agadir les 19, 20 et 21 juillet 2024, sous le slogan « Solidarité avec le peuple palestinien contre la guerre d’extermination sioniste et impérialiste, et avec les luttes sociales contre les politiques néolibérales au Maroc ».
L’Université d’été 2024 s’inscrit dans le contexte de la poursuite de la crise systémique du capitalisme mondial dans ses multiples dimensions, en particulier sa dimension écologique qui a pris des proportions catastrophiques, menaçant de saper les fondements matériels de la vie sur la planète. Malgré toutes les prévisions optimistes des institutions mondiales du capitalisme (FMI et Banque mondiale) concernant la reprise de l’économie mondiale, les signes de récession déclenchés par la crise de 2008-2009 persistent,aggravées par la pandémie de COVID-19 et l’escalade des conflits et des guerres résultant de l’intensité de la concurrence impérialiste pour les sphères d’influence, les ressources énergétiques, les matières premières et les marchés.
Cette crise multiple du capitalisme mondial (politique, économique, sociale, environnementale, alimentaire, migratoire, etc.) a des conséquences aux niveaux régional (Afrique du Nord et Moyen orient) et local (Maroc) :
Au niveau régional : plus de 14 ans après les soulèvements populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la contre-révolution parrainée par des régimes despotiques soutenus par l’impérialisme, continue d’emprisonner les peuples de la région par la répression et de poursuivre les choix économiques et sociaux qui ont conduit à ces soulèvements. Les économies de la région, toujours dépendantes des besoins des économies des centres impérialistes, sont grevées d’une dette qui épuise les richesses de la région et les transfère aux créanciers du Nord (banques et États) et aux multinationales, laissant dans son sillage la destruction de l’environnement. Dans le même temps, les populations (les véritables producteurs·rices de richesses, les travailleurs·euses et les petit·es producteurs·rices d’aliments) souffrent de la pauvreté, du chômage, du sous-emploi, de la privation des services publics et sociaux qui ont été marchandisés à grande échelle, et de l’augmentation des migrations, en particulier chez les jeunes.
Les régimes continuent d’opprimer leurs peuples et sont entrés dans un processus de normalisation générale avec l’entité sioniste qui, sous les auspices directs de l’impérialisme américain et de l’Occident colonialiste, et avec la complicité des impérialismes russe et chinois, continue d’exterminer le peuple palestinien dans la bande de Gaza et de lui refuser l’autodétermination en Cisjordanie et dans le reste de la Palestine historique.
Au niveau local : L’État marocain parvient à contrôler la situation sociale explosive par une série de mesures qui combinent le ciblage des groupes les plus pauvres (la majorité de la population) avec une politique de soutien limité qui crée des illusions quant à l’amélioration de la situation, et l’utilisation de la répression pour freiner les vagues de luttes sociales et populaires et cibler les militant·es avec des poursuites et des arrestations.
Les politiques de l’État menées en l’absence de démocratie et sa dépendance à l’égard des institutions financières internationales ont conduit à l’aggravation de la crise économique, qui est colmatée par un endettement toujours plus important.
L’État veut s’adapter à la crise mondiale en exploitant ses conséquences au profit du grand capital local et étranger, en offrant le Maroc comme une plateforme sûre pour lancer des investissements étrangers en Afrique. Les finances publiques sont épuisées pour financer une infrastructure massive visant à attirer les investissements directs étrangers et à les séduire par un climat d’investissement favorable (droit du travail flexible, antisyndicalisme et politique fiscale clémente). Cette politique risque de relancer une nouvelle crise de la dette, suivie d’une austérité et d’une réduction des dépenses sociales.
Telles sont les caractéristiques générales du contexte mondial, régional et national dans lequel l’association ATTAC CADTM Maroc a organisé son Université d’été 2024. La question palestinienne et l’agression sioniste-impérialiste ont occupé une grande partie de son programme, et les ateliers de travail ont discuté les politiques socio-économiques au Maroc et les réactions populaires et sociales.
Outre les membres d’ATTAC CADTM Maroc, l’Université d’été a vu la participation de nombreux militant·es de mouvements sociaux tels que le Hirak de Figuig, les derniers Hiraks dans les secteurs de l’éducation et de la santé, les ouvrier·ères agricoles, les marins pêcheurs, l’Instance marocaine des droits de l’homme. …. La nature de l’assistance est caractérisée par une participation importante des jeunes et des femmes.
Les séminaires étaient animés par Amer Abdallah Abu Nidal, secrétaire général du Réseau mondial de soutien à la cause palestinienne, Dalia Abdallah du cercle des femmes de l’Union de lutte des travailleurs palestiniens, Gilbert Achcar, chercheur universitaire libanais, Moataz Salem, militant de la dynamique de solidarité étudiante à Washington, D.C., Mohamed Ghafri du Front marocain de soutien à la Palestine et de lutte contre la normalisation, ainsi que Sion Asidoun, Salma Amrou et Samia Bouabdallah de BDS Maroc.
L’Université d’été s’est conclue sur les moyens de réseautage des résistances et a abouti à un certain nombre de positions et de recommandations :
1. Concernant la question palestinienne et la guerre d’extermination sioniste-impérialiste
- Nous condamnons la guerre d’anéantissement menée par l’entité sioniste contre le peuple palestinien à Gaza, les politiques de nettoyage ethnique et de déplacement forcé en Palestine, le soutien militaire et politique direct de l’impérialisme américain, de l’Occident colonialiste et de tous les alliés du sionisme, la complicité des institutions internationales et leur incapacité à mettre fin à l’anéantissement et à l’agression à la lumière du silence officiel et de la lâcheté des régimes en place dans la région.
- Nous saluons la persévérance du peuple palestinien et sa résistance à l’arrogance sioniste, et soutenons les campagnes de solidarité populaire à travers le monde, y compris au Maroc.
- Nous considérons les régimes en place dans la région comme complices de la guerre de génocide et d’agression, et nous condamnons la poursuite et l’élargissement des relations de normalisation dans tous les domaines diplomatique, économique, universitaire, culturel, sportif …, étendue à une alliance militaire pour alléger le fardeau de la guerre à l’entité sioniste (pont terrestre, amarrage de navires militaires…).
Au niveau de notre pays, le Maroc :
- Nous condamnons la répression des mouvements de solidarité du peuple marocain avec le peuple palestinien, l’arrestation de militant·es et le refus de répondre à leurs revendications d’arrêt de la normalisation.
- Nous réitérons la revendication d’annulation de la normalisation et d’arrêt de tous les accords, en particulier l’alliance militaire, et d’élargir toutes les formes de protestation et de lutte pour répondre immédiatement à cette revendication populaire.
- Nous appelons à intensifier la pression et les boycotts contre l’entité sioniste, les entreprises, les institutions et les parties qui sont complices du projet sioniste et en bénéficient dans tous les domaines, et à œuvrer pour l’isoler et lui imposer des sanctions.
- Nous appuyons toutes les formes de boycotts populaires et d’initiatives de solidarité, y compris le mouvement étudiant et universitaire qui cherche à annuler le protocole d’accord entre le ministère marocain de l’enseignement supérieur et le ministère sioniste de l’innovation et de la technologie, ainsi que tous les accords et programmes d’échange d’étudiants et d’universitaires qui en découlent.
- Nous soulignons la nécessité de surveiller véritablement toutes les formes de pénétration sioniste au Maroc, de dénoncer les fausses justifications et les tentatives de les légitimer dans le récit officiel.
- Nous considérons que l’antisionisme n’est pas seulement un soutien au peuple palestinien et à ses droits légitimes, mais aussi une défense des potentialités des peuples de la région et de leur droit à la libération.
2. Concernant les politiques néolibérales au Maroc
- Nous exigeons une rupture avec les politiques des institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui aggravent l’endettement et l’austérité, démantèlent les services publics – comme c’est le cas aujourd’hui dans l’éducation, la santé, la distribution d’eau potable et d’électricité – et élargissent la pauvreté et le chômage, en particulier chez les jeunes et les femmes.
- Nous condamnons et rejetons fermement :
- Les politiques dites de gestion déléguée des services publics, dont de nombreuses expériences ont montré qu’il s’agissait d’une privatisation de biens publics communs, et le démantèlement des traditions de gestion collective démocratique et respectueuse de l’environnement, en usage depuis des générations par les populations locales, comme en témoigne notamment le Hirak de Figuig.
- Le démantèlement accéléré de la fonction publique par l’État, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé, et la généralisation de la privatisation des services publics par le biais d’incitations fiscales et de subventions, c’est-à-dire en faisant de ces services des marchandises liées à la capacité de payer, privant ainsi la majorité des pauvres de l’éducation de leurs enfants et de l’accès aux soins et aux médicaments. Ce démantèlement comprend également la destruction des droits et des acquis des employé·es dans le secteur public, la généralisation des contrats à durée déterminée et l’adoption d’une logique d’entreprise capitaliste basée sur la surexploitation.
- La flambée des prix des produits de consommation de base, aggravée par le démantèlement de la caisse de compensation, l’orientation de la production sur l’exportation, et la privatisation des services publics, alors que les revenus des couches populaires baissent et leur pauvreté s’accroît. La gravité de cette hausse des prix se manifeste par la détérioration de la santé publique et l’augmentation des décès dus à des maladies curables. Ceci d’autant plus que l’État a supprimé le système d’assistance médicale et l’a remplacé par une assurance maladie obligatoire, dont il est actuellement difficile pour la majorité des couches populaires de bénéficier.
- Les mesures de l’État visant à saper les acquis de la classe ouvrière, notamment le droit de grève, le système de retraite, et la remise en cause de la stabilité du travail et la généralisation de la flexibilité par la modification du Code du travail.
- La politique de répression et nous exigeons la libération de tous les détenus politiques au Maroc.
- Nous saluons les mouvements sociaux et populaires en cours dans notre pays, notamment :
- Le Hirak de Figuig, en particulier les femmes de Figuig, qui ont fait preuve d’un haut niveau de combativité qui doit servir d’exemple et de leçon pour les prochaines mobilisations populaires, dans lesquelles les femmes seront à l’avant-garde car elles sont les premières à supporter les conséquences des politiques d’austérité destructrices généralisées par l’État.
- Le Hirak dans le secteur de l’éducation contre le démantèlement de l’enseignement public et la défense des acquis et des droits des employé·es de l’éducation.
- Les luttes continues des étudiants en médecine et des employé·es de la santé pour une formation de qualité, un service public de santé gratuit et de qualité, et la défense de la fonction publique dans le secteur de la santé.
Enfin, les participant·es ont mis l’accent sur :
-Œuvrer au développement des médias militants pour diffuser les informations sur les protestations sociales et populaires locales et nationales et partager leurs enseignements concernant les formes de mobilisation et d’organisation, et pour contrer les attaques qui cherchent à déformer les luttes, à semer la division et à criminaliser les militant·es.
– Réfléchir aux moyens de mettre en place un plan d’étude scientifique et politique collective des différents mouvements et luttes sociales et populaires afin de les documenter pour les générations futures, d’en tirer des leçons pour créer de nouvelles méthodes de construction d’un esprit collectif de résistance.
– Renforcerles outils de réseautage des luttes sociales pour une dynamique unitaire, et rejeter le catégorialisme entretenu par l’appareil d’État dans les différents secteurs concernés par l’offensive de l’État.
– Dynamiser les outils de réseautage des luttes sociales et mouvements populaires pour rompre l’isolement que l’État veut perpétuer, et intensifier toutes les formes de soutien solidaire (visites de solidarité, soutien financier…), qui constituent un appui précieux pour les personnes impliquées dans les mobilisations.
– Unifier les luttes sociales et populaires contre la guerre sioniste-impérialiste et contre les politiques d’austérité.
– Initier un front populaire ouvrier à la base et sur le terrain pour rassembler les salarié·es, les petits producteurs·rices, et les couches populaires qui sont affectées par les politiques d’austérité et les unir autour de revendications et de mobilisations communes : pour une éducation et une santé publiques gratuites …
Agadir, 21 juillet 2024