Quelle justice protège les oppresseurs et condamne les opprimés ? C’est la question qui se pose dans le cas des ouvrières et ouvriers de la société Sicom-Sicomek, alors qu’une nouvelle audience se tient le 3 juin 2025 au Tribunal de première instance de Meknès*. Sur le banc des accusés : non pas les responsables de l’entreprise, mais le bureau syndical qui exige le respect des droits des travailleuses et travailleurs.
Cette audience s’inscrit dans une série de poursuites judiciaires lancées par le patron de l’entreprise, en réponse à la résistance tenace des quelque 500 ouvrières et ouvriers (dont une majorité écrasante de femmes) dont le seul tort est d’avoir osé se dresser contre l’injustice de leur licenciement massif survenu en novembre 2021, après des décennies passées à faire tourner l’usine.
Le harcèlement judiciaire ne s’arrête pas là. Deux autres audiences en appel sont prévues les 16 et 18 juin, et une autre audience vise deux ouvrières le 3 juillet devant le tribunal de première instance. Autant de tentatives de briser une lutte ouvrière exemplaire par son courage et sa persévérance.
Depuis près de dix mois, ces travailleuses et travailleurs mènent un sit-in permanent devant l’hôtel Rif, propriété de l’ancien patron de Sicom-Sicomek. Leur revendication est simple et légitime : le respect de leurs droits fondamentaux. La plupart ont donné entre 30 et 40 ans de leur vie à cette entreprise avant d’être licenciés sans versement de leurs deux derniers mois de salaires, ni même le paiement des cotisations à la CNSS depuis 2016. L’entreprise, pourtant renflouée à coups de fonds publics en 2017-2018 à la suite de difficultés financières, a été progressivement vidée de ses actifs par un montage juridico-financier au bénéfice des actionnaires, avant sa mise en liquidation judiciaire et le licenciement de l’ensemble des salariés.
À cette violence économique s’ajoute une violence physique et institutionnelle. Réprimé par les forces de l’ordre, le sit-in est également l’objet d’agressions physiques de la part des employés de l’hôtel, sur ordre du patron. Et pendant ce temps, le système judiciaire garantit l’impunité de l’employeur : tandis que le dossier judiciaire engagé par les ouvrières et ouvriers pour exiger le paiement des salaires et des cotisations sociales est au point mort, les multiples poursuites engagées par le patron pour les intimider – elles – avancent.
Le cas Sicom-Sicomek illustre de manière emblématique l’offensive de l’État contre les droits de la classe ouvrière. D’un côté, l’État, au service des intérêts capitalistes, s’emploie à démanteler les acquis sociaux des travailleurs et à précariser leurs conditions d’emploi, sous prétexte d’améliorer le climat des affaires. Cela se manifeste notamment par l’adoption, en mars 2025, de la loi liberticide restreignant le droit de grève, ainsi que par les réformes à venir du code du travail et du système des retraites. De l’autre côté, l’État réprime les mobilisations ouvrières, intimide les salariés et criminalise toute initiative visant à défendre les droits sociaux et syndicaux.
Ce cas met également en lumière l’extrême précarité de l’emploi dans des secteurs fortement féminisés et orientés vers l’exportation, tels que le textile, l’agro-industrie ou encore les services touristiques. Les femmes issues des classes populaires sont poussées à intégrer un marché du travail où la compétitivité repose sur la faiblesse extrême des salaires. Ce modèle permet au Maroc de se positionner face à d’autres pays pour attirer les investisseurs et donneurs d’ordre internationaux.
Dans l’industrie textile, fondée sur un modèle de sous-traitance, la compétition mondiale entraîne un nivellement par le bas. Ce système enferme les ouvrières dans des conditions de travail indignes, les expose à une insécurité permanente et les rend vulnérables aux licenciements massifs. À Meknès, en mai 2025, cinquante ouvrières de l’entreprise Kham Confection, spécialisée dans le prêt-à-porter, ont entamé une grève pour réclamer le paiement intégral de leurs salaires, restés impayés depuis plus de deux à trois mois. Face au silence de la direction, certaines d’entre elles ont été contraintes de chercher un emploi ailleurs, dans un contexte déjà précaire. Par ailleurs, cette insécurité peut mener à de véritables drames humains. En février 2021, à Tanger, 28 ouvrières ont perdu la vie dans un atelier de confection clandestin installé en sous-sol, noyé par des pluies torrentielles. Une tragédie révélatrice des dérives d’un secteur où la précarité est la norme.
À l’ère de la mondialisation néolibérale, l’emploi – marqué par une précarité structurelle et une rémunération insuffisante – n’est pas synonyme d’émancipation. Au contraire, le salaire, souvent trop bas pour couvrir les besoins essentiels, devient un piège : au lieu d’ouvrir la voie vers l’amélioration des conditions de vie, il conduit à l’endettement et à une nouvelle forme de dépendance économique, qui contraint à son tour de nombreuses femmes à accepter des conditions de travail dégradantes et à faire preuve de docilité face à des employeurs qui bafouent leurs droits (voir l’étude d’Attac sur les femmes au Maroc à l’ère de la mondialisation).
Exemplaire par sa résilience et sa combattivité, la lutte de Sicom-Sicomek menace un modèle d’accumulation capitaliste qui combine exploitation et coercition. Parce qu’elle a le potentiel d’inspirer d’autres luttes ouvrières, l’Etat et son appareil judiciaire cherchent à l’étouffer en intimidant ses représentants. C’est pourquoi nous devons nous mobiliser aux côtés des ouvrières et ouvriers de Sicom-Sicomek afin de dénoncer une justice qui sert les intérêts des oppresseurs et écrase les opprimés.
L’association Attac Maroc réaffirme son soutien inconditionnel à leur lutte pour la satisfaction de leurs revendications légitimes. Elle exige l’arrêt immédiat du harcèlement judiciaire dont ils et elles sont victimes. Attac Maroc se tient aux côtés des ouvrières et ouvriers de Sicom-Sicomek dans toutes les formes de mobilisation qu’ils décideront, et appelle l’ensemble des organisations progressistes, syndicales et de défense des droits humains à se joindre à ce combat juste et nécessaire.
Seule la lutte mènera à l’émancipation !
*Note : l’audience du 3 juin 2025 a été reportée par le Tribunal de première instance de Meknès au 16 septembre 2025.