Néolibéralisme

L’ALECA et la destruction de l’environnement en Tunisie

La Tunisie a signé en 1995 un accord de libre-échange avec l’Union Européenne (UE). Les premières négociations sur l’ALECA (accord de libre-échange complet et approfondi) entre la Tunisie et l’UE ont commencé en 2016. Ces négociations sont enveloppées d’une grande opacité et se caractérisent par une asymétrie dans les relations entre les deux parties (la Tunisie ne représente que 1% des relations commerciales de l’UE). Dans ce papier, nous présentons les différents problèmes d’environnement que vit la Tunisie qui ne cessent de s’amplifier au fil du temps. Les accords avec l’UE et le modèle économique libéral adopté par les autorités du pays ne font qu’exacerber ces problèmes et, loin de les atténuer, ne font que les complexifier.

  1. Principaux problèmes d’environnement en Tunisie

Nous pouvons résumer les problèmes d’environnement les plus aigus en Tunisie dans les éléments qui suivent, sans prétendre à l’exhaustivité :

  • la pollution par les industries chimiques, notamment par la production de phosphogypse (10 millions de tonnes/an). Le phosphogypse produit est rejeté en mer (Gabès) ou stocké sur place dans d’autres sites. Il n’y a pas pour le moment de solution en matière de transformation de ce type particulier de déchets. Ajoutons à la production de phosphogypse, les industries chimiques liées à la transformation des phosphates polluent également l’air, et cette pollution affecte particulièrement les zones situées à proximité des usines.
  • La pollution de l’eau par les industries textiles, en particulier celles liées au lavage des jeans. Ce type d’installation n’assure pas un prétraitement des eaux polluées qu’elle produit et les rejette directement dans le réseau d’assainissement, ce qui crée nombreux problèmes techniques aux stations dans lesquelles ces eaux sont rejetées.
  • La pollution liée aux industries agro-alimentaires (huileries, tanneries, conserveries). Ces formes de pollution sont mal connues et rarement médiatisées.
  • La pollution par les hydrocarbures, signalée uniquement à Kerkennah et liée à des fuites de conduites de pétrole. Elles affectent les plages et leurs impacts sont souvent étouffés, sauf si des réactions populaires se manifestent.
  • La pollution par les cimenteries et les carrières, notamment par les poussières dégagées et les dérangements des riverains. Comme les sites sont souvent loin des agglomérations, leurs impacts ne sont le plus souvent pas évoqués.
  • Les stations d’épuration des eaux usées déversent souvent des eaux usées non traitées en mer ou dans le milieu récepteur. Ces rejets ont lieu quand ces stations reçoivent plus d’eau qu’elles ne sont capables de traiter. Le modèle de traitement des eaux usées ne permet pas l’épuration des eaux usées, ce qui appelle à son changement, mais au vu du rythme où évolue l’administration, on ne le verra pas de si tôt.
  • Les décharges réservées à l’enfouissement des déchets ménagers urbains (2,2 millions t/an) sont la source d’une pollution inquiétante, notamment pour les populations riveraines des installations. Comme ces déchets contiennent d’importantes quantités de matière organique (autour de 70 %), elles dégagent des gaz très irritants et produisent un lixiviat qui pollue le sol et le sous-sol. L’accroissement de l’utilisation du plastique comme emballage défigure le paysage, tellement fréquent au point qu’on le voit partout. L’interdiction de l’utilisation de ce genre d’emballage n’est malheureusement pas pour demain, surtout que chaque fois que le phénomène est évoqué, les autorités s’alignent derrière les industriels et invoquent les postes d’emploi qui seront perdus une fois le plastique banni. La solution n’est donc pas pour si tôt !

Nous nous arrêtons uniquement sur ces points et constatons que les acteurs économiques privés ou publics ne cherchent pas à trouver des solutions aux problèmes évoqués.

  1. L’ALECA et les risques pour l’environnement

Comme évoqué plus haut les accords avec l’UE sont loin de chercher des solutions aux problèmes d’environnement que connaît la Tunisie. En effet, dans l’accord de 1995, un seul article a été réservé à l’environnement (Article 48) qui annonce en termes généraux “la prévention de la dégradation de l’environnement et l’amélioration de sa qualité, la protection de la santé des personnes et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles en vue d’assurer un développement durable”. Le bilan de cet accord n’a pas été fait, mais il est clair qu’il n’a pas contribué à améliorer l’état de l’environnement dans le pays, mais les a, dans plusieurs situations, exacerbées.

Pour ce qui est des négociations sur l’ALECA, les divergences majeures entre l’UE et le gouvernement tunisien sont liées à l’agriculture que les autorités tunisiennes ne peuvent pas libéraliser, mais aussi, sur le refus de l’UE de réduire les contraintes à la libre circulation des Tunisiens.

Récemment, l’UE a classé la Tunisie comme paradis fiscal, pour la forcer à signer l’ALECA ! Pour l’UE, la Tunisie d’aujourd’hui est un paradis fiscal alors qu’elle était un paradis de libertés sous la dictature… Clairement, la politique de l’UE vise à ouvrir davantage de marchés aux Européens, se fichant totalement des intérêts de leurs « partenaires », réduisant le rôle des Etats à un gendarme de ses frontières méridionales. Comme la Tunisie actuelle ne peut pas assurer ce rôle comme elle l’a fait sous le régime de Ben Ali, elle devient un paradis fiscal qu’il s’agit de sanctionner…

Les quelques consultations avec la société civile ont évoqué le risque réel pour l’économie tunisienne pour la santé, les marchés publics et l’agriculture. En effet, l’ALECA allonge la durée des brevets des médicaments génériques pour le VIH, l’hépatite ou le cancer par exemple, lesquels ne pourraient plus être disponibles dans le pays, comme cela a été le cas pour le Maroc.

En terme d’agriculture, la libéralisation facilite l’entrée des produits agricoles européens sur le marché tunisien sans contrepartie, entraînant l’agriculture tunisienne vers la ruine.

Pour ce qui est des marchés publics, l’ALECA entraîne l’accès libre des entreprises étrangères aux marchés publics tunisiens, ce qui amènerait ces dernières à cesser leurs activités en raison de leur faible compétitivité face aux entreprises européennes.

Conclusions

Les accords de libre-échange (dont l’ALECA), au lieu d’atténuer les problèmes liés à l’environnement, ne font que les exacerber. L’UE, contrairement à ses prétentions, ne fait que créer de nouvelles difficultés à l’économie tunisienne, en forçant le gouvernement à suivre un modèle de développement à l’origine des échecs passés et du soulèvement des Tunisiens en 2011.

Malgré l’opposition de la société civile, l’Europe continue à ignorer les besoins et revendications des Tunisiens.

Mohsen KALBOUSSI

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