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Franc succès pour le séminaire international sur les accords de libre échange « Les accords de libre échange, des accords coloniaux contre les peuples »

Franc succès pour le séminaire international sur les accords de libre échange

« Les accords de libre échange, des accords coloniaux contre les peuples »

 

 

 

Ce sont plus de 80 personnes, venues d’Europe, du Maroc, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne, de Palestine, qui ont suivi avec assiduité toute la journée du samedi 1er octobre les travaux du séminaire “Accords de libre-échange, accords coloniaux contre les peuples”, qui se sont tenus dans les locaux du siège national de l’UMT à Casablanca.

Miloudi Moukharik, Secrétaire général de l’UMT, dans son mot de bienvenue, a souligné que la dénonciation des accords de libre-échange était un combat commun car ce sont des outils de surexploitation des peuples et de la classe ouvrière, refusant d’intégrer des clauses sociales.

 

Le premier panel a permis de faire le point sur la question du libre échange. Omar Aziki (SG d’Attac Maroc) a montré en quoi les Accords de libre échange (ALE dans la suite du texte) sont des accords coloniaux, pensés en fonction des intérêts des pays occidentaux et de leurs entreprises. Ils ont démantelé les services publics, détruit le tissu productif, industriel comme agricole, creusé le déficit de la balance commerciale, et viennent profiter des exonérations fiscales et de la main d’œuvre bon marché dans les pays du Sud. Les ALE, couplés avec le service de la dette, sont des instruments coloniaux de domination des peuples.

Et ce d’autant plus que, comme l’a montré Monica Vargas (TNI[1]/Campagne pour un traité des peuples, contre le pouvoir et l’impunité des multinationales) les multinationales jouissent d’une architecture mondiale de l’impunité qui rend très difficile de pouvoir les attaquer et leur offre un pouvoir sur les Etats. Elles jouissent d’un “droit dur”, contraignant et accompagné de sanctions, alors que les droits humains, les droits économiques, sociaux et culturels peuvent être qualifiés de “droit mou”,  simples recommandations dont la violation n’est passible d’aucune sanction. On est face à une privatisation de la démocratie, où le pouvoir s’exerce à partir de structures parallèles non élues  et non légitimes. D’où l’importance de la campagne pour un Traité des peuples, qui se veut un instrument contraignant englobant l’ensemble des droits, et qui prévoit l’instauration d’une cour pénale internationale contre les crimes des multinationales et des institutions financières. Ce traité, fondé sur la primauté des droits humains, entraînerait la révision de tous les traités commerciaux et d’investissement. Il est un instrument de solidarité entre les peuples.

En effet, comme le rappelle Najib Akesbi (économiste marocain), les ALE sont des accords de classe entre pouvoirs politiques qui ont fait des choix économiques en pariant sur le marché, l’investissement, les multinationales.  Ce qui n’élimine pas pour autant les contradictions internes au capital ou le fait de troquer le libre-échangisme contre le protectionnisme si besoin est. Le dossier agricole UE/Maroc en est une claire illustration.

L’un des problèmes posés par les ALE, notamment dans le contexte euro-méditerranéen et ACP (Afrique, Caraïbe, Pacifique) est l’asymétrie des parties. Jean Marc Bikoko (Dynamique citoyenne/ CADTM Cameroun) rappelle que, malgré tous leurs défauts, les premiers APE (accords de partenariat économique) tenaient compte de cette asymétrie et ne se proclamaient pas Accords de libre échange. Couplés au système de la dette, ils n’ont cependant pas permis de favoriser le décollage de l’Afrique, comme ils le prétendaient et ont eu des conséquences sociales désastreuses qui ont poussé les populations à s’organiser comme c’est le cas au Cameroun avec les Dynamiques citoyennes.

Cuca Hernandez (Attac Espagne) a pour sa part montré que la disparition annoncée des Etats n’a pas eu lieu. Ils se sont maintenus comme états répressifs pour protéger les intérêts des multinationales et mettre en place les politiques néolibérales, comme les partenariats publics-privés, couvrir la faillite des entreprises, garantir leurs profits, négocier les ALE… Cela étant, les technocrates supranationaux se substituent aux Etats pour générer les normes, fixer les nouvelles règles du jeu économique) qui permettent de garantir l’accumulation par dépossession.

 

Le deuxième panel a fait le tour de quelques uns des impacts politiques, sociaux et environnementaux du libre-échange, notamment en matière de santé, et concernant les femmes, le climat et la démocratie.  Zakaria Bahtout (International Treatment Prepraredness Coalition, ITPC) montré comment les droits de propriété intellectuelles, consignés dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle (ADPIC) au niveau de l’OMC, mais faisant aussi l’objet d’un chapitre spécifique au sein des accords de libre échange, allant souvent au-delà de l’ADPIC dans la protection des brevets, pèse fortement sur les prix des médicaments et l’accès aux médicaments génériques, aux prix plus accessibles. Ils renforcent le poids et le pouvoir des multinationales et remettent en cause la souveraineté des pays sur leurs choix de production. Asmae El Mandour (Attac Maroc) a montré comment les ALE ont eu un fort impact sur les femmes.  La libéralisation et privatisation des services publics a rendu plus difficile leur accès aux soins de santé et aux hôpitaux, devenus payants. La scolarisation s’est développée, mais il n’en reste pas moins que l’analphabétisme féminin reste dans des proportions scandaleuses.  Les modifications introduites au sein du marché international du travail ont induit une féminisation de la main d’œuvre, accompagnée de précarité, de salaires inférieurs à ceux des hommes et dans un contexte de violence à l’égard de la main d’œuvre féminine (harcèlement sexuel, violences physiques et morales) qui montre que les traditions patriarcales font bon ménage avec la « modernité » de la mondialisation capitaliste. Jawad Moustakbal (Attac Maroc) a souligné qu’il est important de rappeler alors que le Maroc s’apprête à abriter la COP 22, que le libre échange et l’environnement ne font pas bon ménage.  La théorie des avantages comparatifs, la densification des échanges, la priorité donnée au commerce et aux droits des investisseurs sont en grande partie la cause de la crise climatique et environnementale que nous vivons. Or aucune étude d’impact n’est faite à ce niveau. Mohamed Abdelmaoula (Raid Attac Tunisie) a abordé pour sa part la question démocratique. Tout le monde connaît les conditions de secret dans lesquelles sont menées les négociations des ALE, qui ne sont connues que des lobbies. En outre, les mécanismes de règlement des différents consacrent la primauté des investissements sur les Etats et aboutissent à suspendre les devoirs de l’État en matière sociale et environnementale notamment. Il existe souvent une clause démocratique, mais elle n’a jamais abouti à dénoncer les accords (comme cela aurait pu être le cas lors de la dictature de Ben Ali en Tunisie).

 

Le troisième panel a permis d’évoquer comment nous pouvons d’ores et déjà penser en termes d’alternatives. La Via Campesina (représentée par Ubai Al Aboudi, Palestine) offre un modèle alternatif articulé autour des notions de souveraineté alimentaire et d’agriculture paysanne qui donnent la priorité à la satisfaction des besoins par une production locale. Dans le contexte spécifique de la Palestine occupée, ce modèle sert à la résistance à la colonisation pour développer une production de substitution, dynamiser l’initiative locale voire individuelle.  Mohamed Hakech (UMT/FNSA) a insisté sur la notion d’autodétermination des peuples sur leur nourriture. Un rapport de la Banque du Maroc indique qu‘il faudra exporter 4 ans de tomates pour importer un an de blé ! Or c’est dans ce sens que pousse l’accord agricole UE/Maroc. Il appelle à se révolter contre les ALE et à être attentifs au Tribunal contre Monsanto qui se tiendra à La Haye les 14 et 15 octobre prochains. Jacqueline Balvet (Attac France) a plaidé en faveur d’une sobriété énergétique et la relocalisation au maximum des productions. L’exemple de Cuba (et d’autres pays) montre que cela est possible. Mais cela suppose de se libérer du concept de développement de la production et de l’offre. C’est sur cette idée qu’a insisté Lucile Daumas (Attac Maroc)  en s’appuyant sur des réflexions latino-américaines pour montrer que l’on peut sortir de la logique du développement et de la croissance pour penser un bien-vivre qui repose sur une harmonie de l’homme avec la nature et une redynamisation de la notion de communauté.

 

Le séminaire s’est clôturé par la présentation de trois campagnes contre les traités de libre-échange. Luciana Ghiotto (Attac Argentine), qui n’a pu venir, mais était présente grâce à une video,  a montré à partir de l’exemple du Non à l’Accord des Amériques, qu’il était possible via une campagne populaire de dire non aux ALE. Même si aujourd’hui le continent sud-américain se trouve obligé de se remobiliser contre le Traité transpacifique et d’autres projets d’ALE. Jacqueline Balvet (Attac France) a montré toutes les difficultés mais aussi toutes les avancées des campagnes menées en Europe notamment contre le TAFTA (Traité transatlantique) et le CETA (Traité Europe/Canada). Jihen Chandoul (Observatoire Tunisien de l’Economie) a proposé une rapide analyse de l’ALECA que la Tunisie négocie avec l’Union Européenne (le Maroc étant engagé dans ce même processus qui devra s’étendre par la suite à l’Egypte et la Jordanie) pour montrer l’urgence d’unifier nos forces, au niveau du Maghreb et de l’Afrique du Nord, pour faire barrage à cette nouvelle génération d’accords.

C’est donc à cette coordination des luttes que nous allons consacrer nos énergies pour sortir du processus des ALE et faire valoir la primauté des droits des peuples et de l’environnement sur les droits des entreprises, comme l’a souligné Brid Brenan du TNI et de la campagne pour un Traité des peuples.

 

Rédigé par Lucile Daumas

5 octobre 2016

[1] Transnational Institute, Amsterdam

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