Safi menacée d’une nouvelle catastrophe environnementale
Salaheddine Abir[1]
La station thermique recevra lors de son démarrage 3 millions et demi de tonnes de charbon. Cette quantité devrait atteindre 9 Mt les années suivantes.
Quel est le charbon?
Le charbon est une roche sédimentaire combustible composée essentiellement de carbone, d’hydrogène et d’oxygène4. Il se forme sur plusieurs millions d’années à partir de l’accumulation de débris végétaux qui vont sédimenter et carboniser progressivement à la suite d’une modification graduelle des conditions de température et de pression.
Les propriétés physiques et chimiques du charbon dépendent donc essentiellement du « lithotype », qui reflète le degré de carbonisation du charbon (le « rang » du charbon) ; Plus le rang est élevé, plus sa teneur en eau est faible et sa teneur en carbone est forte, plus son pouvoir calorifique est important. Les charbons de rang supérieur sont donc des combustibles de meilleure qualité. Les charbons de rang inférieur sont plus brunâtres, plus ternes et plus friables tandis que les charbons de rang supérieur sont plus noirs, plus durs et plus résistants4.
Impact environnemental
Au stade de l’extraction et du transport De premiers impacts directs et indirects existent à ce stade : Les chantiers produisent des poussières susceptibles de causer la silicose quand elles sont inhalées durant une longue période (cause fréquente de mortalité des mineurs).
Certaines mines affectent directement la faune et la flore en détruisant leur habitat (mines à ciel ouvert), crassiers ou indirectement par les pollutions directes ou indirectes ou par des modifications environnementales telles que les rabattements de nappe induits par les pompages de dénoiement des mines ou causés par l’utilisation d’une eau de surface pour les besoins miniers (arrosage pour abattement des taux d’empoussièrement, lavage du charbon, etc.).
Selon les caractéristiques du gisement, le charbon est plus ou moins riche en éléments indésirables (soufre, métaux lourds, radionucléides) et il peut laisser se dégazer du grisou.
Il existe néanmoins des technologies d’extraction du charbon plus propres.[Lesquelles ?]
Stade de la transformation et/ou combustion La carbochimie quand elle est associé aux bassins charbonniers a été et reste une source importante de pollution. Elle a au XXe siècle laissé de lourdes séquelles de pollution de nappes, sols et sédiments.
La combustion du charbon est également une activité particulièrement polluante, plus que pour d’autres énergies fossiles en raison de la quantité de produits indésirables que contient le charbon.
Au cours de la pyrolyse, le charbon émet de nombreux gaz et particules volatiles toxiques et polluantes : HAP, dont benzène et ses dérivés aromatiques (notamment le benzo[a]pyrène), goudrons, dérivés du phénol comme les dioxines… Lorsque le charbon se met à brûler, il émet des oxydes de soufre et d’azote qui acidifie l’air, ainsi que des suies et d’autres éléments toxiques comme le cadmium, l’arsenic ou le mercure.
La combustion du charbon libère dans l’air des quantités importantes de soufre, qui contribue au phénomène de pluies acides et avec le CO2 (transformé en acide carbonique dans l’eau aux phénomènes d’acidification des eaux de surface et des mers. Or, dans un milieu acide ou acidifié, les métaux lourds, dont ceux mis en circulation par la combustion du charbon sont plus mobiles dans l’environnement, plus « biodisponible » et plus « bioassimilables ».
De nombreux foyers utilisent le charbon pour le chauffage et/ou pour la cuisine, en produisant une fumée nuisible à la santé : L’OMS estime que plus de 1,3 million de personnes meurent chaque année des suites de problèmes respiratoires causés par des combustibles solides (bois, herbacés, tourbe, bouses séchées et charbon).
Quelle est la situation environnementale à Safi ?
Les habitants de Safi souffrent[2] depuis des décennies de la pollution causée par le complexe chimique située à la sortie de la ville. Cette usine a détruit la richesse naturelle de la région (faune et flore). De nombreux les safiots souffrent de maladies chroniques. Les voisins du complexe chimique sont porteurs de plusieurs maladies comme la tuberculose, l’ostéoporose, perte de cheveux et dans certains cas des malformations. Leur bétail et la nappe phréatique n’ont pas été épargnés par cette pollution de l’air et de l’eau. La destruction de la richesse halieutique à cause des rejets liquides, sans traitement, a contribué fortement à la fermeture d’usines de conserves de poissons et le licenciement de milliers de marins et d’ouvriers. Ces travailleurs ont été obligés de migrer vers d’autres régions du Maroc. A cela s’ajoute, la mort de nombreux ouvriers du complexe chimique à cause de cancers.
Aujourd’hui, Safi est une ville marginalisée et pauvre. Une situation sociale en décalage avec sa contribution à la création de richesse nationale. La ville subit les conséquences d’une pollution généralisée. Le complexe chimique rejette des odeurs nauséabondes et toxiques. A ces rejets s’ajoutent ceux produits par les usines de plâtres et ciment qui utilise des pneus usagers importés d’Europe.
Comme conséquence à cette situation environnementale, la richesse halieutique est perdition et le classement du port de la ville comme première port sardinier du Maroc est perdu à jamais.
Contributions au forçage climatique (par effet de serre et via les aérosols soufrés)
Le charbon est majoritairement formé de carbone. Sa combustion libère donc énormément de dioxyde de carbone (gaz à effet de serre).
En 2003, environ 25,0 GtCO2 (milliards de tonnes-équivalent-gaz carbonique) ont ainsi été émises par l’humanité dans l’air, dont 9,4 GtCO2 pour produire de l’électricité (dont à partir du charbon pour une part de 6,6 GtCO2), souvent sans cogénération exploitée de chaleur et/ou de vapeur. Si la tendance se poursuit ; en 2030 les émissions mondiales seront accrues de 14,0 GtCO2 (+ 56 %), et les émissions de 7,5 GtCO2 (+80 %) avec 4,8 GtCO2 provenant du charbon. En 2050, la situation serait pire encore avec un accroissement de 30,5 GtCO2 (+ 300%) et 21,1 GtCO2 en plus issus du charbon.
La combustion du charbon libère aussi d’autres gaz à effet de serre (NOx en particulier).
Et pour couronner le tout, la décision a été prise pour installer la Station thermique alimentée en charbon à Safi. Rejetée par les populations de d’autres villes du Maroc (Agadir), les autorités décident de renvoyer cette station à Safi comme si notre ville est un dépotoir pour projet polluant. Le charbon dit « propre » est pourtant un produit fossile dangereux et responsable du réchauffement climatique. Pour maquiller leur décision, les autorités ont annoncés des études « scientifiques » contestée et des « consultations » de façades pour convaincre la population. Cette station devrait voir le jour en 2016. Comment Safi supportera-t-elle ce projet polluant ?
Sans énergie et sans souveraineté .. seulement la pollution!
Les choix néolibéraux dictent la conduite suivante à nos dirigeants : soutirer des pauvres le maximum de ressources pour les allouer aux investissements destinés à engraisser les sociétés, les banques et autres véhicules financiers du capitalisme sauvage.
Dans le cas de ce projet, ces prédateurs donnent la priorité absolue aux gains. L’Etat n’hésite pas à se contredire en autorisant un investissement polluant. Le Maroc est signataire de la convention pour la lutte contre les changements climatiques (Décret n°1011.93.2 paru le 20 janvier 1995) qui stipule que l’Etat doit œuvrer à stopper tout projet qui pourra alimenter le réchauffement climatique (article 1). L’art 2 stipule que le Conseil national de l’environnement a pour mission de protéger et d’améliorer l’environnement, ainsi que la protéger de la pollution et tout acte pouvant la détruire. Ce conseil doit œuvrer à lutter contre la pollution et améliorer le cadre de vie des populations.
Dans la pratique, le Maroc s’apprête à créer une station thermique qui polluera son environnement, alors que seuls 25% de l’énergie produite à partir de cette station est destinée au Maroc. Notre pays achetera cette énergie d’investisseurs nationaux et internationaux. Les promoteurs de ce projet sont l’Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable («ONEE») et Safi Energy Company S.A («SAFIEC»). SAFIEC est propriété d’un consortium composé du holding royal SNI par le biais de sa société Nareva, International Power (GB), GDF SUEZ (France), Mitsui & Co., Ltd. (Japon).
Ce groupement est l’adjudicataire du projet suite à un processus d’appel d’offres international. Le montant global de l’investissement est de 2,6 milliards de dollars (23 milliards de dirhams).
En plus de tout cela, beaucoup de pays ont annoncés officiellement l’arrêt d’exploitation des mines de charbon, craignant pour la santé de leurs populations. Cette décision a fait baisser le nombre de mines et donc les quantités disponibles sur le marché international. Automatiquement, les prix de cette matière première ont augmenté de 13% depuis 2008 D’autre part, le prix de l’énergie solaire connait une baisse de son coût de revient de 80%. Malgré ces deux tendances le « Gouvernement du charbon » persiste à implanter un projet qui porte en ses germes une catastrophe environnementale à grande échelle .
[1] JOURNALISTE, Member Attac Maroc ( (Association pour la Taxation des Transactions pour l’Aide aux Citoyens Maroc). http://attacmaroc.org/ attac.cadtm.maroc@gmail.com / abir.salaheddin@yahoo.com
[2] Voir Reportage de chaîne France 24