الديون

Union européenne, bas les pattes devant les peuples du Maghreb et du Machrek

L’Union européenne, pendant ces dernières décennies, a apporté  un soutien sans faille, malgré des fréquents rappels à l’ordre du Parlement européen,  aux dictateurs patentés du Sud de la Méditerranée. L’exemple tunisien est emblématique de cette posture.

Aujourd’hui, alors que deux de ses anciens amis, Ben Ali et Mubarek, sont tombés, alors que Khadafi, ex ennemi public numéro un, devenu par la suite subitement fréquentable, est retombé une deuxième fois en disgrâce, l’Union européenne n’hésite pas à se poser en donneuse de leçons démocratiques  aux contestataires du Maghreb et du Machreck et de s’ingérer dans la marche du processus de révoltes et de révolutions qui a fait tache d’huile dans –presque- toute la région. En partant d’un double postulat :

–         L’Europe est par essence démocratique. Si elle a pu, par le passé, soutenir des dictatures, cela se justifiait par le fait que les dictateurs étaient garants de la stabilité  (sic) et qu’ils permettaient d’éviter le pire, qui comme chacun sait, est, depuis le « choc des civilisations », l’islamisme politique. L’Europe est donc, avec les Etats-Unis, la garante de la démocratie dans le monde.

–         L’Europe, pas plus que les USA, n’est  pour rien dans la situation qui met à mal leurs copains dictateurs dans la région.

 

Cette posture part de l’analyse que le « printemps arabe », comme on le nomme, n’est qu’un soulèvement des peuples contre des dictateurs trop despotiques, trop corrompus, trop accapareurs,  ces kleptocrates qu’il suffirait de remplacer par un personnel plus « présentable » pour que tout rentre dans l’ordre.

Aussi est-il aujourd’hui politically correct  de considérer que les mouvements sociaux arabes  portent des revendications légitimes. Il fallait entendre Michèle Alliot Marie conseiller son pote Mubarek : « quand des millions de personnes descendent dans la rue, il faut les entendre » à peine deux mois après les énormes manifestations contre la réforme des retraites en France, qui n’ont infléchi en rien le contenu de la réforme.

La position affichée  de l’Union européenne est qu’elle encourage, aide les processus en cours, même par les armes s’il le faut, comme c’est le cas en  Libye.  Sans oublier toutefois de  protéger ses intérêts et de se prémunir contre les fluctuations des flux migratoires qui pourraient en résulter.

Ces postulats appellent plusieurs commentaires.

Le premier concerne ce que l’intellectuel libanais Georges Corm appelle l’éthnocentrisme européen, qui continue à se considérer « l’avant-garde de l’humanité qui doit ouvrir la voie aux autres nations ou peuples ou civilisations ».  Les dirigeants européens n’envisagent pas que les temps coloniaux puissent se terminer et qu’il serait grand temps que  les peuples du Sud puissent accéder à leur pleine souveraineté politique.  Cette arrogance a d’ailleurs valu au gouvernement français deux manifestations, l’une à Tunis, l’autre à Rabat, devant ses ambassades, pour le prier de ne pas s’ingérer dans les mouvements populaires en cours.  Cette ingérence peut aller très loin puisque l’on a vu comment les  puissances européennes ont négocié avec le CNT libyen les ventes futures de pétrole, mais aussi le respect des accords signés par Khadafi en matière de contrôle migratoire.

Il y a lieu également de mettre un bémol à la nature démocratique de ces mêmes gouvernements européens. Non seulement on observe comment la démocratie en Europe même subit des attaques de plus en plus répétées. Nous le constatons tous, dans tous les pays de l’Europe.  Nous nous souvenons tous des « arrestations préventives » opérées par le gouvernement danois lors du sommet climatique. Les exemples, depuis Gênes et bien avant, de l’extension du domaine de la répression au détriment de celui du droit abondent. Mais il ne s’agit pas que de cela : rappelons-nous du traité constitutionnel où les citoyens de plusieurs pays ont voté sans connaitre l’ensemble du texte et où les citoyens irlandais ont été appelés à revoter jusqu’à ce qu’ils daignent donner la « bonne réponse ». Je n’insisterai pas davantage. Mais rappelons quand même que la démocratie libérale, c’est celle de la toute-puissance des marchés, qui décident pratiquement en toute impunité et dans une opacité qui se renforce,  de ce qui leur convient, pendant qu’on amuse les peuples et la galerie avec des élections qui ont de  moins en moins de sens, puisque le débat politique  et programmatique en est pratiquement absent. Les structures même de la Commission européenne sont un modèle de fonctionnement non démocratique, puisqu’elle a une autonomie immense par rapport aux instances élues de l’Union européenne, sans avoir de compte à rendre devant les peuples d’Europe et  ses représentants.

De surcroit les dirigeants européens nous mentent. Lorsqu’ils affirment soutenir et aider le mouvement démocratique, ils soutiennent et aident en fait les systèmes répressifs qui tentent de les contenir. Rappelons-nous l’affaire de la livraison de matériel répressif au gouvernement Ben Ali, bloquée in extremis à l’aéroport de Roissy par les douaniers. Ce matériel n’a finalement pas atteint Tunis, mais on raconte que trois avions français ont livré ces derniers mois du matériel flambant neuf à la police marocaine. Cela n’a pas pu être vérifié, mais en revanche, les manifestants dans plusieurs villes ont constaté que dernièrement les matraques étaient électrifiées, signe que les Taser sont bien arrivés jusqu’au Maroc, dans cette période cruciale. Il faut voir aussi, pour rester sur l’exemple marocain, comment, sans attendre le verdict populaire, les gouvernements européens ont encensé la réforme constitutionnelle (malgré une campagne référendaire et un  résultat final, de 98,5% de oui, dignes d’une république –pardon, d’une monarchie- bananière). De la même façon, le silence qui a accompagné la répression, menée par la police saoudienne, des manifestations au Bahrein, est symptomatique de la conception de la démocratie à plusieurs vitesses prônée par l’Union européenne pour les pays du Maghreb et du Machrek.

 En fait, il est clair que l’Union européenne n’appuie pas les processus populaires mais les différents processus de reprise en main, par la matraque, par le changement cosmétique ou par les élections, qui sont le fait de ces mêmes équipes politiques qui  entouraient ou entourent encore les despotes au pouvoir. Tout le reste n’est que baratin pour amuser la galerie.

Enfin, et toujours sur ce premier volet politique, à aucun moment,  les puissances occidentales (Etats-Unis et Europe) ne remettent en cause  l’impact des politiques suivies depuis des décennies dans la région, qui de l’Afghanistan à l’Irak et dans tout le Moyen-Orient  ont renvoyé les peuples dits arabes à leur islamité, leur faisant assumer à leur corps défendant le rôle du Méchant, du Mal et plongeant toute la région dans la guerre et l’instabilité. Il est pourtant indéniable, lorsque les manifestants défilent, avec une force et un souffle jamais égalés dans l’histoire, dans les rues de Damas,  du Caire, de Tunis ou de Casablanca, en criant  haut et fort ce que  le peuple veut, « Chaab yourid » en arabe,  qu’il en émane une fierté immense de peuples qui se sentent en train de récupérer cette dignité qui a non seulement été bafouée par le despote local, mais surtout par cette idéologie xénophobe, raciste, anti-arabe et anti-islamique, dont le dernier avatar, et ce n’est pas le moindre, a été l’invraisemblable  et effroyable attentat d’Oslo.

Il est également ahurissant de voir comment les gouvernements européens, ne tirant aucune leçon de l’échec du partenariat euroméditerranéen, (que ce soit dans sa formule initiale lancée en 1995 à Barcelone ou dans la  formule d’Union pour la Méditerranée, lancée à Paris presque 15 ans plus tard), ont accouché, lors du Conseil européen des 23 et 24 juin 2011, d’un nouveau gadget à proposer aux peuples méditerranéens, le « Pacte pour la démocratie et la prospérité partagée ». Pacte entre qui et qui ? Les despotes encore au pouvoir ? Les gouvernements de transition ? Les termes sont ceux-là même qui ont présidé à la naissance du processus euroméditerranéen. Ils sont aujourd’hui usés jusqu’à la trame. Voici le commentaire d’un journaliste algérien Akram Belkaid, intervenant en avril dernier lors d’une conférence à la Maison de l’Europe :

« L’Europe a failli vis-à-vis des pays du Sud en feignant de croire que l’économie allait tout régler. Les accords de libre-échange ont eu des conséquences catastrophiques pour les populations des pays de la rive Sud de la Méditerranée, mais ont eu un intérêt pour les régimes en place. Ils ont accentué le déséquilibre entre les deux rives de la Méditerranée au lieu de le résorber ».

Comment en outre, accorder un quelconque crédit à ce pacte, qui sera vraisemblablement oublié avant d’être signé, quand les dirigeants européens, manquant décidément d’imagination, annoncent qu’ils feront de la démocratie et du respect des droits de l’homme une conditionnalité pour l’accès aux prêts, au même titre que la lutte contre l’immigration. Les conditionnalités sont en elles-mêmes totalement anti-démocratiques, en ce qu’elles donnent pleins pouvoirs au prêteur. Et l’expérience a déjà montré l’élasticité des notions de démocratie et de droits de l’homme lorsque des millions et des  milliards sont en jeu.

Il faut lire les textes des accords euroméditerranéens. C’est, dans le style même, du concentré de colonialisme. Ecrits exclusivement par les experts européens, c’est le seul point de vue de l’Europe sur les pays partenaires qui s’y exprime, examinant attentivement la situation qui prévaut dans ces pays (mais pas un mot sur la crise financière et économique qui secoue l’Europe, méditerranéenne en particulier), pour mieux voir comment les aider à appliquer les mêmes recettes libérales qui leur permettront de continuer à être les pourvoyeurs de matières premières, d’énergie, de rentes, de main-d’œuvre,  de terres, d’accueillir à bras ouvert les multinationales, le tout organisé par le biais de la dette, du  démantèlement de toutes les protections et réglementations, et maintenant aussi du droit d’installation (des entreprises, s’entend).

Mais, pour les gouvernements européens, cela n’a évidemment aucun lien avec cette révolte qui s’exprime avec une  force jamais égalée dans l’histoire, dans les rues de Damas,  du Caire, de Tunis ou de Casablanca.

 Les accords de partenariat prévoyaient pourtant que les mesures libérales imposées à marche forcée aux pays tiers méditerranéens, entraîneraient de l’exode rural, une montée du chômage et de multiples problèmes sociaux liés au démantèlement des services publics.  Mais de cela  l’Europe n’en parle pas. Si elle se sent concerné, comme aussi les Etats-Unis,  c’est d’abord parce que la marche du monde ne saurait se faire sans eux, et aussi parce que  ces révoltes pourraient remettre en cause leur propre prospérité (et donc les affaires qu’ils mènent dans les pays du Sud ainsi que le pétrole qu’ils leur fournissent) ou leur propre tranquillité (je veux parler ici des vagues migratoires qui viendraient déferler sur ses frontières).

 Il faut voir d’ailleurs la place démesurée prise par cette question lors de la  réunion du Conseil européen des 23 et 24 juin derniers, pas moins de 11 articles y étant consacrés sur la trentaine que comprend le relevé de conclusions. Niant l’évidence, les gouvernements européens continuent à accréditer la thèse d’une menace d’invasion migratoire, tout en faisant porter tout le poids de l’accueil des réfugiés fuyant la Libye ou la Syrie aux pays limitrophes. Leur préoccupation majeure étant de ne pas  «encourager la présentation de demandes injustifiées ou accroître les coûts globaux pour les États membres. » (sic, relevé de conclusions du Conseil européen). Un universitaire français, Jean-François Baillart a, en revanche, dans une chronique publiée par le quotidien Le Monde, exprimé – et à juste titre son indignation devant les milliers de morts qui continuent de périr en tentant la traversée de la Méditerranée et son souhait que les dirigeants européens soient traduits devant la Cour pénale internationale pour ces massacres.

Les gouvernements européens, drapés dans leur dignité de gardiens de la démocratie, ne se sentent  pas non plus concernés par les revendications des manifestants du Maghreb et du Machrek,  contre des pouvoirs qui leur mentent, qui les volent et les dépossèdent de leurs  droits civiques et politiques ? Eux ne mentent pas à leurs électeurs, ne les volent pas, ne les dépossèdent pas de leurs acquis sociaux et politiques !

Certes, le jeu démocratique en Europe est bien huilé, on fait des élections, les présidents ne s’accrochent pas à leurs fauteuils et les partis politiques existent, proposant pour la plupart les mêmes projets de sociétés menées par le monde de la finance et de l’entreprise. La kleptocratie en Europe ne se cristallise pas sur la figure du président et du personnel politique (encore que…). Elle est pourtant bien présente et ce n’est pas pour rien que notre mouvement Attac dénonce la dictature des marchés. Cette dictature prend ici des formes plus « soft » : lobbies, conflits d’intérêts, toutes les formes de collusion entre la banque, l’entreprise et le personnel politique. Elle n’en fait pas pour autant moins de dégâts. Les peuples grecs, espagnols, portugais, irlandais, islandais en savent quelque chose et  les mesures d’austérité qui leur sont appliquées en profitant du « choc » de la crise vont, cela ne fait pas de doute, être généralisées aux peuples de tous les pays européens, si les populations ne parviennent pas à se soulever, n’en déplaise à  leurs représentants politiques ou syndicaux, comme l’ont fait les manifestants de la place Tahrir.

Les peuples du Maghreb et du Machrek ont compris que la bataille est d’abord politique,  car l’économique et le social ne sont qu’affaire de choix politiques. Revendiquer le respect de la volonté populaire, c’est une autre façon de remettre les intérêts des populations au cœur du projet tant politique qu’économique. C’est là que réside la véritable révolution portée par les peuples du Sud de la Méditerranée.

 Elle a déjà commencé à franchir le détroit : le mouvement des Indignés, en Espagne, est à n’en pas douter, le cousin germain des révoltes arabes.  Y a-t-il d’autre issue, ici en Europe, pour une sortie démocratique et populaire de la crise financière,  économique et  sociale provoquée par le libéralisme, que de reprendre la rue ? 

Lucile Daumas

l’Université d’Europe des Attac/ les politiques européennes vis à vis du Maghreb/Machrek

 

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