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Les islamistes au pouvoir au Maroc: Le néolibéralisme sans complexe

Les islamistes au pouvoir au Maroc  

Le néolibéralisme sans complexe

 

Les politiques économiques adoptées par les islamistes au gouvernement au Maroc sont-elles en rupture avec le néolibéralisme en cours depuis 30 ans ? Eléments de réponse.

 

Salaheddine Lemaizi

Militant d’ATTAC Maroc

 

Les islamistes adorent Davos. Pour la deuxième année de suite Abdel-ilah Benkirane, Chef du gouvernement marocain, a fait le déplacement à la Mecque du néolibéralisme, le Forum économique mondial tenu du 23 au 27 janvier 2013 à Davos, en Suisse. Il a participé aux côtés de d’autres chefs de l’Exécutif de la région Maghrek-Maghreb : Ali M. Z. Ben Zedan (Lybie), Hesham Mohamed Qandil (Egypte), Najib Mikati (Liban) et Salam Fayyad (Palestine), à débat sur l’actualité de cette partie du monde.

 

Benkirane, Regean et Thatcher réunit !

Comme à sa première participation, Benkirane, chef de file des islamistes marocains, a axé son discours sur les questions identitaires et «le nécessaire souci d’accepter les différences des d’autres cultures». Ce discours à la limite de la victimisation fait l’impasse sur l’essentiel : la nature des politiques économiques qu’adoptent les islamistes au gouvernement. Sont-elles en rupture avec le néolibéralisme en cours dans cette région depuis 30 ans ? Plus d’un an après leur arrivé au gouvernement, les islamistes se prosternent devant le capitalisme marocain et étranger.

Le gouvernement Benkirane est issu des élections du 25 novembre 2011. Il est composé d’une coalition hétéroclite (le PJD islamiste, le PI et le MP conservateurs proches de l’Etat et le PPS, «socialiste»). Le cœur du pouvoir demeure entre les mains du roi et de son entourage, qui dictent les grandes lignes dans tous les champs de la vie publique. Le gouvernement est réduit au rôle d’exécutant. Donc, la politique économique de ce gouvernement n’est pas estampillé que islamiste, mais elle résume la pensée unique dominante chez la classe politique (Palais, gauche comme droite) qui prête allégeance au marché.

Le tournant est dans la méthode. Avec l’arrivée des islamistes au gouvernement, cette religion du marché trouve un prédicateur, un Thatcher et un Réagan réunit, qui défend le néolibéralisme sans complexe. Pour plaire aux Institutions financières internationales (IFI), le gouvernement se montre docile et malléable. Pourtant, face à la population, il est intraitable.

Les «Privatisor» islamistes

Trois ministres islamistes résument ce rôle du néolibéralisme décomplexé. Le premier personnage est Lahcen Daoudi, ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de la formation des cadres. Cet économiste est un adepte de la libéralisation, de la globalisation et du libre-échange. Il a été rebaptisé «Privatisator» de la politique marocaine.  Dès son arrivée, il annonce son souhait de rendre l’université publique payante «pour améliorer sa compétitivité face aux universités privées». Daoudi dénigre l’enseignement public supérieur qu’il qualifie de «crèches pour adultes». Son fantasme est de «drainer des capitaux privés dans l’enseignement».

Le deuxième acteur est Mustapha Ramid, ministre de la justice et des libertés (sic). Cet avocat, très influent au sein de son parti, s’est montré intraitable avec des greffiers en mouvement de grève. Il osé faire des prélèvements sur leurs salaires et donnant son feu vert pour disperser avec une violence inouïe les sit-in de ces fonctionnaires. Pour lui, ce conflit social et ces revendications sont décryptés avec sa grille d’analyse d’islamiste : faire grève et recevoir un salaire est «haram» (illicite).

Troisième personnage est Najib Boulif, Ministre délégué, chargé des affaires générales et de la gouvernance. Ce poste clé de l’Exécutif a été confié à cet économiste connu pour son puritanisme. A son arrivée au pouvoir, il laissera de côté «l’islamité» de ses points de vue. Il est en train de suivre le rythme que lui imposent ses partenaires, la Banque mondiale et les autres IFI. Ce ministre prône un «interventionnisme sélectif de l’Etat» dans l’économie.  Ce ministre, qui a fait les deux déplacements à Davos, renforce la mission de son département comme caisse de résonnance des recommandations de la BM au Maroc[1].

Ces trois ministres, décrits comme des «faucons» islamistes, se sont avérés de dociles animaux politiques, au service du marché. Ils rejoignent ainsi les positions du gouvernement sur plusieurs thèmes, spécialement la polémique TGV, remis en cause par une partie de la population. Les meurettes des islamistes marocains en économie ne font que renforcer le système capitaliste. Ainsi le gouvernement souhaite introduire la finance islamique comme une alternative au système bancaire classique, propose un impôt religieux (zakat) optionnel et commence par taxer les produits de luxes. Ces pistes de reformes ne changeront pas la nature du système actuel.

Le consensus de Washington islamiste

Au contraire, le gouvernement actuel se lance corps et âme dans des «réformes» qui ressemblent à un Programme d’ajustement structurel, bis. (PAS). Un remake des années 80 se prépare. Cette période a été marquée par des coupes budgétaires dans les secteurs sociaux, suivi par des émeutes du pain. L’octroi par le Fonds monétaire international (FMI) d’une ligne de Précaution et de liquidité de 6,2 milliards de dollars en faveur du Maroc en aout 2012[2], pousse le gouvernement a accéléré le rythme du démantèlement du système global de subvention de prix pour aller vers un ciblage des populations pauvres. L’acharnement politique et médiatique montre le poids du nouveau dogme des islamistes : la liberté des prix. S’il est vrai que le système de subvention connait de nombreux dysfonctionnements, il demeure qu’elle joue un rôle important dans un pays dont 28% de la population est pauvre[3] (8,5 millions).  En plus de «cette réforme» majeur, les islamistes comptent s’attaquer aussi aux systèmes de retraite, déjà fragile, à la fiscalité et au droit de grève.

Répression et criminalisation des luttes

Ce démantèlement de l’Etat social, où de moins ce qu’il en reste, risque de créer des heurts. Les classes sociales pauvres ou paupérisés des grandes métropoles sont privées d’un logement décent et abordable, de systèmes de santé et d’éducation gratuits et de qualités. Avec ces réformes, il y a fort à craindre des explosions de colère populaire. Prévoyant de tels scénarios, l’Etat prépare ses outils de «dialogue social». Le budget de ministère de l’Intérieur est en constante augmentation, le système d’espionnage en ligne est à la pointe de la technologie, la reproduction du contrôle social par de nouveaux outils comme les ONG véreuses bat son plein. A ces outils s’ajoute le discours lénifiant des islamistes. Benkirane, le Chef de gouvernement est passé maitre en la démobilisation. A chacune de ses sorties, il appelle la population «à la patience et se remettre à Dieu dans toutes les situations».

En parallèle avec ce discours moraliste, le gouvernement réprime tout ce qui bouge. Etudiants, diplômés chômeurs, syndicalistes, ouvriers, Mouvement du 20 février. Une criminalisation quasi systématique des luttes sociales est en cours. Le nombre de prisonniers politiques au Maroc dépassent les 60 militants. Aveuglé par l’idéologie islamiste et le dogme marché, le Chef du gouvernement et ses ministres achèvent bien les Marocains.          

Religion du marché

Au-delà de la conjoncture politique marocaine, les enseignements à tirer dépassent le cadre national. À l’instar de la Tunisie et de l’Egypte, l’Exécutif actuel au Maroc montre les limites de l’islamisme. Cette idéologie basée une certaine lecture de l’Islam n’apporte aucune proposition nouvelle pour une population qui est sortie dans la rue revendiquant du «Pain, de la justice sociale et de la  dignité». Aveuglé par ses débats identitaires, enlisé dans ses contradictions et piégé par les occidentaux dans des débats imprégnés «d’eurocentrisme», l’islamisme ne propose rien en alternative au : libéralisme, néolibéralisme, société de consommation, etc…

Pire, cette idéologie s’apparente être le meilleur allié du capitalisme. Gilbert Achcar, professeur à la School of Oriental and African Studies de Londres observe avec finesse ce mariage dans le cas égyptien: «La doctrine économique des Frères musulmans plaide pour marché libre sans restriction. Elle est plus conforme à la doctrine néolibérale qui a prévalut du temps de Moubarak»[4]. Ce spécialiste de la région donne l’exemple de la voracité des hommes d’affaires de la confrérie islamiste qui n’ont rien à envier aux businessmen de l’ancien régime

Plus de deux ans après le début du Printemps des peuples, les dirigeants du Machrek-Maghreb, élus pour la plupart démocratiquement, persistent dans les mêmes politiques libérales qui ont ruiné ces pays et mené vers les révolutions en cours. Le libéralisme s’est laissé poussé la barbe et l’islamiste n’a plus de complexe de s’afficher dans les messes du capitalisme mondial.

 Cette crise pose avec acuité la question d’une réelle alternative de gauche dans cette région du monde. Une zone dominée par le conservatisme politique et le néolibéralisme économique adopté même par le social-libéralisme. Cette gauche a un chantier à construire autour des revendications du printemps des peuples : liberté, égalité, dignité, pain, justice sociale…

 

  Encadré 

Abdel-ilah Benkirane. Le premier prisonnier politique au Maroc  

Dans une interview accordée à TV5 Monde, le Chef du gouvernement marocain a multiplié les déclarations hilarantes. Florilège : «Voulez-vous que je tire les femmes par les cheveux pour les ramener au gouvernement» ou encore : «Il n’y a aucun prisonnier politique au Maroc». Pour justifier ce mensonge, Benkirane invoque le mythe désuet de «l’exception marocaine» face au printemps des peuples. La réalité est que le Maroc compte au moins 60 prisonniers politiques. A cette liste s’ajoute, les prisonniers islamistes dont le dossier complexe est en stand by. A terme, Benkirane devrait détruire la sympathie dont il bénéficie auprès d’une partie de la population. En assumant la responsabilité morale de la répression des mouvements sociaux et politiques et en se mettant en avant pour défendre ces réformes économiques impopulaires, il détruit le mérite de son parti et confirme qu’il est prisonnier de sa logique politique. Il est le premier prisonnier politique du régime marocain.      

 


[1] Pour un aperçu de ce rapport entre BM et le gouvernement marocain, voir le site de ce département : www.affaires-generales.gov.ma

[3] Un débat houleux oppose le gouvernement et le PNUD sur ce chiffre. Il demeure que lors de l’élaboration d’un système de couverture médicale pour les démunis, c’est ce taux qui a été retenu par les officiels.

[4] Pour une analyse complète de cette question lire le nouveau livre de l’auteur : Le peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Sindbad, Paris, 2013 

 

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