L’économie de santé au Maroc. C’est grave docteur !
Salaheddine Lemaizi, militant d’ATTAC Maroc
Un rapport de plus ? Vue la profusion d’études sur le système de santé au Maroc, nous sommes tentés de répondre par l’affirmatif. Sauf qu’à la lecture du rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur le secteur de la santé au Maroc, ce document offre une précieuse synthèse de l’état de notre système sanitaire. Dans ce résumé, nous faisons un focus sur le les dépenses de santé et leur financement au Maroc. Dans un contexte de libéralisation de la médecine, les indicateurs présentés par le CESE sont d’un grand secours dans ce débat.
Le financement de la santé
Trois indicateurs résument à eux seuls la crise chronique du système de santé au Maroc. Premier chiffre, les dépenses totales de santé au Maroc représentent à peine 6,2% du PIB, soit un niveau inférieur à celui de la moyenne des 194 pays membres de l’OMS qui est de 6,5%. Ces dépenses sont aussi deux fois moindre qu’en Tunisie et six fois moindre qu’en Jordanie.
Deuxième indicateur, les dépenses du ministère de la Santé dans le Budget général de l’Etat (BGE). Cette rubrique représente 4,1% du BGE en 2012 alors que l’OMS recommande un taux de 9%. A titre de comparaison, la part budgétaire de la Santé à la même période était de 10,4% en Tunisie, 10,6% en Algérie, 11,6% au Sénégal et 16,3% en Jordanie.
Troisième indicateur, la participation des ménages dans le financement des soins de santé. La part des dépenses de santé directement prise en charge par les ménages s’élève à 53,6%, soit en moyenne 802 DH par an et par personne. Ces dépenses seraient certainement plus élevées, si l’on y rajoute les frais cachés, liés au transport et à l’hébergement. Ce n’est que lorsque le recours aux paiements directs chute à 15-20% des dépenses totales de santé que l’incidence financière n’est plus significative pour les ménages et que le taux d’appauvrissement atteint des niveaux négligeables.
Sources de financement de la santé au Maroc
Source de financement |
Part du financeur (en%) |
Paiements directs des ménages |
53,6 |
Recettes fiscales nationales et locales |
25,2 |
Couverture médicale de base (AMO/RAMED) |
18,8 |
Coopération internationale |
1,1 |
Employeurs (hors AMO et RAMED) |
0.9 |
Source : CESE, 2013
Ces chiffres expliquent, en bonne partie, les difficultés que rencontrent les Marocains pour accéder aux systèmes de soins. La question que se sont posés les auteurs du rapport est de savoir, où vont ces dépenses directes des ménages dans la santé ? Les résultats sont édifiants.
48,6% des dépenses directes sont consacrées aux médicaments. Le paiement des cabinets médicaux et cliniques privées viennent en deuxième position avec 38,7%. Ces dépenses sont principalement effectuées auprès de cabinets privés. Les hôpitaux publics n’attirent que 4,4% des dépenses directes des ménages. Ces chiffres montrent que la majorité de la population solvable a recours aux structures de soins privées, réputées garantir une meilleure qualité des soins.
46% des Marocains sans couvertures médicales
Selon les données de l’Agence nationale de l’assurance maladie obligatoire (ANAM), le nombre des assurés et ayants droits soumis à l’obligation d’assurance médicale et couverts en vertu des dispositions de la loi 65-00 a atteint 10 901 541 au 31 décembre 2012. En d’autres termes, près de 46% de la population marocaine ne bénéficie pas encore d’une couverture médicale de base. Pour les 54% de la population, incluant les Ramedistes, bénéficient, théoriquement, d’une assurance. Ces personnes sont réparties en plusieurs régimes et de nombreux gestionnaires (voir tableau ci-dessous).
Organisme gestionnaire |
Nombre d’assurés |
CNSS |
4 692 348 |
CNSS – 114 employeurs du secteur privé couverts par les mutuelles, caisses internes et assureurs privés |
1 244 122 |
CNOPS |
2 940 071 |
Mutuelles et caisses internes publiques (OCP, RAM, ONCF, CNSS, ONE, etc.) |
550 000 |
Mutuelle du personnel FAR |
1 200 000 |
Diverses populations (Chioukh-Mokaddmines, Imams, Anciens résistants, etc.) |
275 000 |
Total des assurés |
10 901 541 |
Source : CESE, 2013
Pour le CESE, le financement de la santé au Maroc fondé sur une couverture médicale de base « en constante progression » mais « reste insuffisant au regard du niveau encore élevé des dépenses des ménages en matière de santé ». Ce système devrait faire face à l’explosion de la facture des soins due aux coûts de la prise en charge des Affectations de longue durée (ALD).
Une transition coûteuse
« Le Maroc connaît une transition épidémiologique avec un transfert de la morbidité due aux maladies transmissibles et aux problèmes de la période périnatale vers les maladies non transmissibles (MNT) et les traumatismes », observe le CESE. En d’autres termes, les Marocains meurent moins d’une fièvre ou de la tuberculose que d’un cancer, d’une insuffisance rénale ou d’un diabète. D’ailleurs, 75% des causes de décès sont liées désormais aux MNT, un des pourcentages les plus élevés de la région MENA. Les cancers sont responsables de 12% des décès par MNT. Résultat : la facture des soins explose. De facto, le premier déficit financier serait observé en 2016 pour le régime AMO géré par la CNSS et en 2015 pour le régime AMO géré par la CNOPS.
Les dépenses liées aux ALD ont représenté 51% des dépenses globales de l’AMO, en 2012, bien que ne concernant que 3,3% des assurés ! « Les maladies chroniques représentent donc le défi majeur auquel est confronté le système de la couverture médicale de base. Ceci appelle une politique volontariste de lutte contre les facteurs de risque de ces maladies, notamment le tabagisme, la sédentarité et les mauvaises habitudes alimentaires », préconise le CESE. Le Conseil appelle aussi à la maitrise des coûts de la prise en charge des ALD. Ceci passe par la baisse des prix des traitements, des médicaments souvent onéreux.
Des Accords de libre échange critiqués
C’est une première qu’un rapport officiel marocain remet en cause les Accords de libre échange (ALE) et les Accords sur les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) signés par le pays. Pour les auteurs de ce document, la panoplie d’accords commerciaux « constituent une barrière majeure à l’accès aux médicaments à un prix abordable ont été vivement critiqués par les organisations internationales et onusiennes œuvrant dans les domaines de la santé et du développement, par les producteurs marocains de génériques et par la société civile ».
Le CESE va encore plus loin. Le rapport reproche à la loi 31-05 sur la protection de la propriété industrielle d’être parmi « les plus restrictives et les plus hostiles à l’accès aux médicaments génériques dans les pays en développement. Elle renonce à plusieurs droits conférés par l’OMC pour protéger la santé publique. Une telle loi, calquée sur celles des pays développés, est en inadéquation complète avec le niveau de développement économique du Maroc, et les ressources dont il dispose pour faire face aux problèmes de santé111. Elle va également à l’encontre des intérêts de l’industrie pharmaceutique nationale condamnée désormais à produire des versions génériques de molécules, existant déjà sous formes génériques, et ayant donc une moindre valeur ajoutée ».
Sur ce volet, le CESE recommande « une mise en cohérence de la politique du ministère de la Santé, favorable aux médicaments génériques, avec celle des ministères des Affaires Etrangères et de celui de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies ainsi qu’une réforme de l’Office marocain de la propriété industrielle et commerciale, s’imposent ».
S.L.