La crise globale et multidimensionnelle
Par : Rachida Cherif / 6 Juin 2013
Les prêts immobiliers américains ont été l’élément qui a déclenché en 2007 la crise la plus grave du capitalisme. L’insolvabilité des emprunteurs, souvent des ménages de condition modeste, a entraîné l’effondrement du marché financier puisque les banques avaient transformé les crédits hypothécaires en titres financiers. La situation va s’aggraver en 2008 suite à la propagation de la crise à l’ensemble des pays capitalistes du fait de la globalisation financière.
De nombreuses grandes banques américaines et européennes ont fait faillite, la plus importante d’entre elles est la banque d’investissement, Lehman Brothers qui a fait faillite en septembre 2008. Entre septembre et octobre 2008, la crise financière s’accroît fortement. Les Etats sont intervenus pour sauver les banques et les établissements financiers qui étaient en difficulté ou au bord de la faillite ce qui a provoqué une crise de la dette publique, surtout en Europe.
La crise immobilière et financière se transmet à l’économie réelle, elle affecte durement l’activité économique en provoquant l’augmentation de la pauvreté et du chômage et les inégalités s’accentuent au nord comme au sud. Ceci va donner à cette crise de multiples : économique, social, alimentaire, et écologique…
Cette crise globale et multidimensionnelle a montré que le marché, la concurrence, le libre échange, les privatisations, le laisser faire et la quête du profit qui constituent les piliers du capitalisme dans sa phase néolibérale ne mènent pas au bien général. Malgré les remèdes qui ont été appliqué pour sauvegarder le système capitaliste, la crise a continué de peser lourdement sur l’économie mondiale et les conditions de vie des peuples pendant ces cinq dernières années. Ainsi la crise du système capitaliste a eu des conséquences graves sur les pays de Nord comme sur les pays de Sud. Ainsi elle a donné raison aux analyses et aux luttes altermondialistes pour un monde solidaire, juste et écologique.
- I. Les origines de la crise
- 1. La crise de subprimes
La crise financière s’est déclenchée en 2007 à la suite du krach des prêts immobiliers à hauts risques dans un contexte caractérisé par le dégonflement de la bulle immobilière1 et le boom des matières premières et l’inflation ainsi que des innovation financière (titrisation2, CDO3 …) qui ont été derrière la propagation de la crise à l’Europe.
Avec la libéralisation financière des années 1980, les règles de prudence relatives au financement du logement aux Etats-Unis d’ Amérique ont été abolies. Et les banques ont offert des prêts à hauts risques (dits prêts subprime) à des emprunteurs de condition modestes. En contrepartie ces banques bénéficiaient de rendements très importants. Les prêts subprimes se sont développés notamment aux USA et au Royaume Uni. En 2006, ils représentaient aux USA, 23% du total des prêts immobiliers accordés. Mais quand la Fed (Réserve fédérale américaine, la banque centrale des Etats-Unis) décida d’augmenter le taux d’intérêt, les emprunteurs défavorisés n’étaient plus capables de rembourser leurs dettes. En décembre 2007, environ 2,5 million de personne avaient été jetées à la rue, car les banques ont saisi leurs maisons pour se rembourser. L’augmentation rapide du nombre de maisons à vendre a conduit à la laisse de leurs prix. La bulle immobilière explosa à l’image d’une bulle qui s’élève et qui éclate.
- 2. Les politiques néolibérales et la libéralisation du système financier.
Les politiques néolibérales ont conduit à une multiplication des crises financières. Depuis le début des années 1980, le monde a connu plus de 10 crises.
Tableau4 : Multiplication des crises financières dans la période néolibérale
Années de crise |
Pays affectés |
Nature de la crise |
Années 1980 |
Pays en développement |
Crise de la dette souveraine |
1987 |
Pays du centre |
Krach boursier |
1988 |
Etats-Unis |
Caisses d’épargne |
Années 1990 |
Japon |
Crise immobilière –boursière- bancaire |
1992 – 1993 |
Pays européens |
Crise de change (effondrement du SME) |
1994 – 1995 |
Mexique |
Crise jumelle de la dette souveraine |
1997 – 1998 |
Pays « émergents » : Asiatiques et Russie |
Crises jumelles : banque et taux de change |
2000 |
Pays du centre |
Crise boursière « Internet » |
2001 |
Argentine |
Crises jumelles |
2007 – 2008 |
Pays du centre (Etats- Unis, Europe, Japon) |
Crise immobilière, bancaire et financière |
Ces crises sont dues à l’accélération de la mondialisation néolibérale et la libéralisation financière caractérisée par la libéralisation des opérations bancaires, l’ouverture du marché boursier et du compte de capital et la libéralisation du marché des changes. La crise est plus grave lorsque le système bancaire est gravement touché, c’est le cas de la crise de 2007. Cette crise a été aggravée par la déréglementation financière engendré par des innovations financières notamment les produits dérivés5 et la titrisation qui a permis aux banques de transformer leurs crédits en titres négociables. Ces titres sont ensuite vendus à des investisseurs institutionnels6 qui sont en quête de placements rentables. La titrisation a été utilisée pour les crédits hypothécaires et notamment pour les crédits « subprime » aux USA. L’innovation financière va introduire une nouvelle technique : les CDO (collateralized debt obligations), c’est-à-dire des obligations fondées sur une dette afin de rendre ces titres plus attractifs . Suite à l’insolvabilité des ménages, la valeur de ces CDO s’est effondrée ce qui a déclenché la crise immobilière et financière de 2007 et la faillite des grandes banques aux USA et en Europe surtout en 2008.
- II. Impact de la crise mondiale sur les pays de sud : cas de Maroc
La crise a affecté durement et au premier rang les pays capitalistes puisqu’elle s’est déclenchée aux Etats-Unis et s’est propagée par la suite en Europe et à d’autres pays développés. Mais elle a eu des impacts négatifs sur les pays du Sud surtout à partir de juillet 2008 du fait de la baisse de la demande extérieure provenant des pays développés. La crise alimentaire était l’aspect qui caractérise la crise dans les pays de Sud. Les causes de la crise alimentaire sont : l’ouverture commerciale imposée aux pays du Sud, la diffusion des monocultures et des cultures d’exportation au détriment des cultures vivrières, la suppression des subventions des produits de base et la spéculation sur les aliments alimentaires.
Le Maroc comme la plupart des autres pays de Sud a été épargné par la crise financière du fait de la faible intégration de son système bancaire et financier dans le marché financier international. Par contre l’impact de la crise économique a été ressenti par la sphère réelle de l’économie marocaine notamment dans 4 domaines : Les échanges commerciaux, les recettes touristiques, les transferts des marocains résidents à l’étranger(MRE) et les investissements directs étrangers(IDE).
ü Les échanges commerciaux : selon le HCP, le commerce international a régressé de 11 ,9% en volume et la demande mondiale adressée au Maroc de 10%. Ce qui a entraîné un recul des exportations marocaines de biens et services de 13,1% et par conséquent le déficit de la balance commerciale.
ü La baisse des flux et des recettes touristiques.
ü Les transferts des MRE : selon le HCP, les transferts de MRE ont baissé de 3,5% en 2008 et de 5,4% en 2009 à cause de la récession qui a frappé les principaux pays d’accueil particulièrement l’Espagne, la France et l’Italie.
ü La baisse des IDE : selon l’office de change, ils ont régressé de 26,3% en 2008 et de 29,2% à la fin de 2009.
Malgré l’échec des politiques dictées par les institutions financières internationales (IFI), la Banque mondiale (BM) et le Fond monétaire international (FMI) conseillent aux autorités marocaines de «réformer d’urgence la Caisse de compensation». Les IFI profitent des lamentations des différents gouvernements au sujet du «poids de la compensation» pour prêcher cette réforme qui augure austérité et réduction des salaires dans le secteur public.
- III. Les politiques de lutte contre la crise
- 1. Des remèdes pour sauvegarder le système capitaliste
- a. Les Etats interviennent pour sauver les banques
A la différence de la crise de 1929, les banques centrales sont intervenues quand la crise financière s’est déclenchée en 2007 pour sauver le système financier. Ainsi les autorités monétaires et politiques se sont précipitées pour appliquer des procédures qui sont à l’encontre de l’idéologie néolibérale et du principe de laisser faire: la nationalisation et la recapitalisation des banques.
Ainsi aux Etats Unis, ils ont nationalisé, en septembre 2008, Fanny Mae et Freddie Mae, deux organismes de refinancement hypothécaire immobilier. À la même période, le gouvernement fédéral américain a adopté le plan Paulson, un programme de plus de 800 milliards de dollars pour recapitaliser les banques et leur racheter des créances douteuses.
En Europe, le Royaume-Uni a nationalisé Northern Roch, banque spécialisée en crédit immobilier, le 18 février 2008. Pour faire face au problème de l’insolvabilité, le gouvernement britannique de Gordon Brown est le premier gouvernement européen a initié la recapitalisation des banques. L’union Européenne a adopté un plan de sauvetage de 1700 milliard pour recapitaliser les banques et garantir les prêts interbancaires.
Après trente ans de recul de l’Etat dans l’économie, on assiste à travers ces procédures à un renforcement du rôle de l’Etat dans le système financier, tandis que les banques centrales ont mené des politiques monétaires visant à injecter des liquidités. Mais, aucune contrepartie n’a été exigée de pour ces banques qui ont bénéficié des fonds publics.
- b. Les plans de relances
Quand la crise financière a affecté l’activité économique, la consommation des ménages et l’investissement des entreprises ont été réduits du fait du resserrement des conditions de crédit et de la hausse des taux d’intérêts, ce qui a provoqué une forte réduction de la croissance et l’augmentation de chômage. Des dizaines de millions de personnes ont ainsi perdu leur emploi. Pour faire face à la récession de l’économie les pays ont appliqué des politiques de relance pour stimuler la demande (consommation, investissement) afin d’accroitre la production et l’emploi.
Une politique de relance est un ensemble de mesures économiques qui consiste à augmenter les dépenses publiques et réduire les recettes fiscales afin d’augmenter l’activité économique et de réduire le chômage. Ainsi afin de relancer l’économie et de réduire l’ampleur de la crise économique, les gouvernements des pays développés ont injecté en 2008 environ 3000 milliards7 de dollars dans leurs économies. Mais ces plans de relance ne sont pas parvenus à empêcher la récession. Par contre ils ont entraîné une expansion massive de la dette publique, surtout en Europe, où les peuples vont subir les conséquences des mêmes politiques d’austérité imposées dans les années 1980 aux pays de sud.
- 2. La crise systémique a donné raison aux analyses altermondialistes
- a. Mettre la finance à sa place
À partir de 1980, la montée de la mondialisation néolibérale a encouragé la déréglementation du marché financier pour faciliter la libre circulation des capitaux et le dévelopement de nouveaux produits financiers qui échappent à toute régulation.
On assiste à une financiarisation de l’économie car les entreprises industrielles, attirées par les profits, consacrent une grande partie de leurs ressources à des activités financières au détriment de leurs activités principales ce qui a entrainé la baisse du profit dans l’économie réelle.
Le crédit se généralise de plus en plus dans l’économie à l’échelle mondiale. Cependant la forte prise de risque et la dérégulation croissante des marchés étant à l’origine de la crise actuelle. La primauté de la finance se trouve écorcher. Désormais, on entend de plus en plus des voix qui appellent une application des mesures visant remettre la finance à sa place. Parmi ces mesures, on cite :
– l’instauration d’institutions capables de contrôler la régulation,
– la taxation des activités financières afin de contrôler la spéculation,
– l’interdiction des fonds spéculatifs,
– la suppression de la titrisation et l’encadrement des produits dérivés,
– la mise en place d’un pôle financier public puisque des banques ont été sauvées par les fonds public.
b. Donner la priorité au social et à l’écologie
La crise financière qu’a connue notre monde dernièrement a mis en relief les préjudices de la mondialisation du système capitaliste surtout avec la montée des inégalités et la dévalorisation de la condition salariale.
Dans son article : « la fin d’un monde », Yamine Makri révèle que le système capitaliste est arrivé à ses limites du fait de deux contradictions :
– contradiction interne : le progrès technologique a été accompagné par l’accélération du chômage (les machines ont remplacé de plus en plus les hommes dans le processus de production) et elle a permis de produire des marchandises moins chère. Mais une marchandise moins chère est une marchandise qui génère moins de profits. Pour faire face à cette contradiction intrinsèque au système capitaliste et compenser la baisse de la valeur, il faut augmenter la production.
– contradiction externe : maintenir les profits se heurte à des ressources limitées. Cette surproduction a été la cause de la crise écologique.
Avant même l’éclatement de la crise actuelle, la situation était alarmante à cause de l’augmentation de la pauvreté et le creusement des inégalités. Les partis et les syndicats ont perdu toute crédibilité en se contentant de jouer le jeu d’une opposition superficielle sans mettre les fondements du système capitaliste en question ou viser son dépassement.
Par contre le mouvement altermondialiste a toujours critiqué fermement les effets négatifs du libre échange et de la dérégulation financière en appelant à une autre mondialisation qui donne la priorité aux droits fondamentaux humains sociaux et environnementaux et non pas la primauté de la quête des profits.
Conclusion : la crise financière mondiale est une opportunité historique pour le changement.
La crise globale déclenchée en 2007 a révélé l’inopportunité des politiques néolibérales qui ont eu des conséquences graves dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. Les politiques d’austérité ont porté atteinte aux peuples à cause de la restriction des services publics, de l’accélération du chômage et de la réduction des salaires. La crise mondiale ainsi que les événements surprenants qu’a connus le monde à partir 2011 : le Printemps arabe, le mouvement des « Indignés » et le mouvement mondial « Occupons Wall Street »…constituent une opportunité historique pour le changement.
Des mesures pour un autre monde plus solidaire, juste et écologique :
ü Lutter contre les privatisations des services publics (l’enseignement, la santé, l’eau…)
ü Promouvoir des politiques agricoles visant la sécurité et la souveraineté alimentaire.
ü Subventionner les prix des produits de première nécessité.
ü Introduire la surveillance du système bancaire.
ü Mettre fin à la spéculation immobilière et financière en créant un service public du logement.
ü Interdire la spéculation sur les produits alimentaires.
ü contrôler les marchés dérivés.
ü Fermer les paradis fiscaux et appliquer un système fiscal réellement progressif.
ü Fixer un salaire minimum qui prend en considération le niveau général des prix et déclarer illégal le travail précaire et sous payé.
ü Sécuriser les emplois et stopper les réformes du droit du travail qui visent à augmenter le temps de travail et la précarisation des travailleurs.
ü Annuler la dette illégitime.
ü Payer des réparations aux pays du Sud pour les désastres écologiques causés par le Nord.
ü Création d’une Organisation mondiale de l’environnement dans le cadre des Nations unies8.
ü Appliquer le protocole de Carthagène, qui permet d’interdire l’importation de semences et d’animaux transgéniques, et de maintenir les organismes génétiquement modifiés(OGM) en milieu strictement confiné pour des applications de recherche fondamentale ou pour des usages médicaux8.
Rachida Cherif
6 Juin 2013
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1- une bulle immobilière : est une bulle spéculative caractérisée par une hausse rapide de la valeur des biens immobiliers. Le mot français de bulle dans le sens de bulle financière vient de l’anglais « bubble », il s’agit d’une métaphore indiquant que les prix sur un marché spécifique augmentent de façon rapide et sans raison solide, et sont vulnérables, exposés à une chute instantanée, à l’image d’une bulle qui s’élève et qui éclate.
2- titrisation : Technique qui permet aux banques de transformer leurs crédits en titres. Ces titres sont ensuite vendus à des investisseurs. La titrisation est donc un moyen pour les banques de transférer leurs risques à des investisseurs. Cette innovation a été largement utilisée pour les crédits hypothécaires, et notamment pour les crédits subprime (crédits immobiliers à hauts risques) aux Etats-Unis. D’après le Petit glossaire de la finance du livre : Sortir de la crise globale p :141
3- CDO (collateralized debt obligations) : Titre obligataire constituée de créances titrisées. Cette technique a été largement utilisée par le système financier états-unien pour transférer de la dette immobilière (notamment les prêts subprime) à des investisseurs du monde entier qui se sont gavés de ces CDO à hauts rendements. Leur valeur s’est effondrée avec la crise immobilière et financière des Etats-Unis. D’après le Petit glossaire de la finance du livre : Sortir de la crise globale p :138
4- tableau1 : Multiplication des crises financières dans la période néolibérale. du livre : Sortir de la crise globale p :66
5- les produits dérivés : Instruments financiers qui s’échangent sur des marchés spécialisés (marchés à terme et marché d’option). Leur rôle principal devrait être de permettre la protection (couverture) des agents économiques contre l’instabilité des taux d’intérêt, des taux de change, des prix des titres ou des matières premières. Dans la réalité, les produits dérivés sont devenus de puissants instruments aux mains des spéculateurs. D’après le Petit glossaire de la finance du livre : Sortir de la crise globale p :140
6- des investisseurs institutionnels :On distingue plusieurs catégories d’investisseurs institutionnels : les fonds de pension gèrent l’épargne retraite dans certains pays(les Etas-Unis, le Royaume-Uni mais aussi des pays d’Europe continentale comme les Pays-Bas) ; les fonds mutuels ou sociétés d’investissement, les organisme de placement collectif (OPCVM et SICAV en France) sont les investisseurs institutionnels qui ont connu le plus fort taux de croissance à partir des années 1990 ; les compagnies d’assurances jouent un rôle important dans certains pays comme le Royaume-Unis, la France et le Japon ; les fonds spéculatifs (hedge funds) : fin 2006, on comptait environ 10000 hedge funds opérationnels dans le monde, gérant un total de prés de 2000 milliards de dollars, cinq fois plus qu’en 2000 ; les fonds souverains, créés par les Etats, gèrent les actifs accumulés à la suite d’excédents commerciaux ou budgétaire et en tirer avantage ; c’est le cas notamment des pays producteurs de matières premières (pétrole et gaz). D’après le livre : Sortir de la crise globale p :77
7- voir la crise économique dite de la Grande Récession 2008 et après sur wikipidia.
8 – d’après les propositions pour articuler les objectifs sociaux et écologiques énoncés dans l’encadré : 3 p : 129 du livre : Sortir de la crise globale