Enjeux du contre-sommet FMI-BM : Résister et créer
Le Maroc accueille les réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale en octobre 2023 à Marrakech. Cette réunion en sol africain implique plusieurs enjeux pour les organisateurs et le pays hôte. Mais ce qui nous intéresse dans ce papier, ce sont nos enjeux, nous membres de mouvements sociaux et organisations de lutte[1]. Dans cet article, nous abordons les enjeux de ce sommet pour les organisations qui luttent contre les Institutions financières internationales (IFI) depuis des décennies en Afrique et dans le Machrek et le Maghreb. Revue rapide de quelques enjeux.
Pour le régime au Maroc : Cache-misère et opportunité de prédation
L’organisation de telles rencontres s’inscrit dans la démarche du régime politique et économique au Maroc depuis des décennies (candidatures pour organiser la Coupe du monde, tenue de sommets internationaux ou régionaux, etc.). Se présentant comme un allié des occidentaux » et du « camp libéral » et américain, le régime offre ses services dans toutes les occasions possibles pour accueillir sommets et rencontres internationales. Au point que le Maroc a accueilli en 1994 le sommet de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), institution dangereuse pour les intérêts commerciaux des pays du Sud, dont le Maroc s’autoproclame « porte-parole ». Bref, rien n’arrête le régime pour proposer ses services en matière de « diplomatie évènementielle », en déroulant le tapis rouge aux dirigeants du « monde libre », au frais du pauvre contribuable marocain.
Les budgets publics qui seront mobilisés seront une aubaine pour les milieux affairistes proches du régime pour s’offrir des marchés opaques, gré à gré. L’expérience de la COP22 est encore dans les mémoires, où l’adjoint du maire de la ville de Marrakech a été condamnés pour « dilapidation de fonds publics »[2]. Il est certain que la machine à prédation fonctionne à plein régime pour offrir marchés et fonds publics à « d’heureux élus », le tout « made in Morrocco »
Le sommet d’octobre est aussi un cache-misère. Que veut montrer au monde l’Etat marocain ? Rappelons quelques faits, au risque d’offusquer quelques nationalistes de pacotille : Nous sommes une petite économie sous-régionale (PIB de 134 milliards USD). Nous sommes depuis deux décennies dans la catégorie de pays à « revenu intermédiaire inférieur (3 527,9 USD/habitant)[3]. L’Indice du développement humain (IDH) du Maroc nous place tristement à 123 place mondiale depuis deux décennies.
Pour cacher la misère réelle : l’endettement, la dépendance énergétique, alimentaire, sanitaire, etc, les communicants déploieront leurs slogans habituels pour vanter « les succès du Maroc ». Les cache-misères seront bien sûr : le TGV, la station solaire Ouarzazate, les autoroutes, et quelques usines délocalisées de multinationales françaises, etc.
Pour la « société civile » : Se proposer comme « partenaire »
Une large partie de la « société civile » au Maroc et dans la région MENA se positionne déjà comme « partenaire » de ces rencontres. L’enjeu pour ces « ONG » c’est de se positionner pour trouver une place plus proche des décideurs. C’est un choix. Après tout chacun est libre de ces engagements…Mais dans ce cas précis, on parle bien de partenariats avec le…FMI et la…BM, dont les politiques, les injonctions et les financements sont les sources d’appauvrissement de larges couches de la population au Maroc et sur le reste du continent. Des institutions qui portent la responsabilité morale et politique dans les différentes émeutes de la faim durant les années 80 et 90 au Maroc. Des institutions qui ont signé des chèques à blanc pour la dictature du régime de Hassan II et sa dette publique odieuse.
Les autres sommets organisés récemment au Maroc (climat, migration, etc.) se faisaient dans le cadre d’évènements organisés par l’ONU. Cette « société civile » pouvait trouver ainsi la parade pour se porter « partenaire » de l’ONU. Car malgré les critiques, l’ONU demeure une institution présentable que les IFI. Aujourd’hui, cette « société civile » est dans l’impasse. « L’ONGetisation », la course aux bailleurs, aux projets, aux financements conduise ces institutions à un cul-de-sac. L’aile à droite du mouvement altermondialiste mondial et marocain se trouve de facto allié des IFI et se propose naïvement de conduire un « dialogue parallèle » avec ces institutions. Le texte de notre camarade Ali Amouzai répond pédagogiquement à « l’offre de partenariat » proposé par « la société civile »[4].
Cette « société civile » est dans une deuxième impasse, et non des moindres. Des composantes proposent leurs services de « médiation » à l’autoritarisme au Maroc durant les crises sociales et les conflits sociaux. Un rapport de dépendance s’est installé entre ces parties. Il est difficile aujourd’hui de refuser la proposition de se porter « partenaire »…
Pour le contre-sommet : Résister et créer
Pour la dynamique du contre-sommet, dans laquelle ATTAC Maroc et le réseau CADTM sont partie prenante, les enjeux sont nombreux. Ces enjeux peuvent être déclinés sur le plan mondial, continental (Afrique) et régional (MENA) et national. Dans ce qui suit, nous nous focalisons sur quelques enjeux sur le plan national, avant de revenir sur les enjeux des autres échelons de la mobilisation dans d’autres articles à venir :
L’enjeu n°1 : Mener un combat culturel contre le néolibéralisme
Tout l’emballement artificiel qui sera créé en septembre et octobre prochains autour de ces réunions pourrait être considéré comme un non-événement de notre point de vue de militants altermondialistes. On pouvait opter de regarder ailleurs et ignorer cette « fête des puissants » du monde dans leur lieu de villégiature préféré, Marrakech[5]. Mais ces réunions nous interpellent. Le choix du Maroc, de l’Afrique, de la région MENA est LE CHOIX DU MEPRIS. Dans la région et le continent où les politiques des IFI ont eu les conséquences les plus désastreuses, ces mêmes IFI viendront célébrer leur « succès », main dans la main avec les dirigeants des pays du Sud. Quel mépris pour les peuples ! Durant l’automne prochain, une opération de blanchiment des IFI et leurs politiques sera menée, à grands renforts de propagande médiatique.
Ce « capitalisme washing » doit être combattu dans les terrains des idées et dans le terrain des luttes. C’est une guerre culturelle qui doit être menée pour montrer au monde les effets des IFI depuis des décennies sur l’Afrique, la région MENA et le Maghreb.
L’enjeu n°2 : Oser la résistance unitaire
Mener cette bataille culturelle et politique dans un pays autoritaire et où le tout sécuritaire domine en ce moment ne sera pas de tout repos. Mais c’est une bataille nécessaire. Celle de la résistance face aux politiques des IFI, face à l’absolutisme. Cette bataille est la nôtre et celle des mouvements sociaux en lutte : Enseignants-contractuels, diplômés-chômeurs, famille des prisonniers politiques, habitants des régions marginalisées, ouvriers et ouvrières, paysans endettés, habitants sans toi, migrants sans papiers, etc. Ces mouvements spontanés ou organisés sont déjà en mode résistance, une résistance éparpillée à qui ce contre-sommet peut offrir un moment d’union et de visibilité bénéfique.
L’enjeu n°3 : Créer d’autres voies possibles
Ce contre-sommet arrive à un moment crucial dans l’histoire du mouvement altermondialiste dans le monde. Ce mouvement créé au début des années 2000 est aujourd’hui essoufflé. Ces outils au niveau mondial et régional sclérosés (Forum sociaux, assemblée des mouvements sociaux, etc.). Dans la région MENA, les acteurs institutionnels (ONG, partis, syndicats, etc) ont été ringardisés et rejetés par les différents « Hirak » lancés depuis le Printemps des peuples. Tout ce beau monde se cherche d’autres voies possibles pour renouveler sa légitimité perdue.
Les plus radicaux au sein des mouvements sociaux et anticapitalistes expliquent la crise systémique par sa racine, le système de production et d’exploitation, le capitalisme à l’origine de la crise climatique. L’aile réformiste continue à osciller entre volonté de dialogue et de partenariat avec les responsables de la crise multidimensionnelle actuelle. Une option illusoire à notre sens.
À Marrakech, nous avons la possibilité de poursuivre ce débat déjà entamé ailleurs sur les autres voies possibles. Ainsi, faire entendre les voix du Sud global en dialogue avec les militants du Nord global, construire des solidarités entre les ouvriers, les paysans, les femmes, les migrants et l’ensemble de ceux et celles qui veulent voir disparaître les IFI et leur hégémonie.
Salaheddine Lemaizi, militant d’ATTAC Maroc.
[1] Assemblées de la Banque mondiale/FMI :Contre-sommet des mouvements sociaux Marrakech, du 12 au 15 octobre 2023, https://www.countersummitimfwbmarrakech.org/fr/assemblees-de-la-banque-mondiale-fmi-contre-sommet-des-mouvements-sociaux-marrakech-du-12-au-15-octobre-2023/
[2] Il s’agit de Younes Benslimane, député RNI (parti du chef de gouvernement). Justice: l’ex-maire de Marrakech, Larbi Belcaïd, innocenté, son adjoint condamné à un an de prison, https://fr.le360.ma/politique/justice-lex-maire-de-marrakech-larbi-belcaid-innocente-son-adjoint-condamne-a-un-an-de-prison-268201/
[3] La Banque mondiale classe les pays selon le revenu en quatre groupes : faible revenu : inférieur à 1.005 dollars, revenu intermédiaire de la tranche inférieure : compris entre 1.006 et 3.955 dollars, revenu intermédiaire de la tranche supérieure : compris entre 3.956 et 12.235 dollars et revenu élevé : supérieur à 12.235 dollars.
[4]ن هل يمكن إقناع البنك الدولي/ صندوق النقد الدولي بالالتزام بحقوق الإنسا
[5] جواد م. مراكش، قاعة حفلات أغنياء العالم، تستقبل أبرز صانعي الفقر والظلم في العالم