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ATTAC Maroc.Etude microcrédit. PDF
INTRODUCTION
Aujourd’hui, le secteur de la microfinance est confronté, au Maroc comme dans le reste du monde, à plusieurs défis dont le plus important tourne autour de l’efficacité de ce type de crédits dans la lutte contre la pauvreté et dans l’autonomisation des pauvres grâce à des ressources financières qui leur permettrait de développer des activités génératrices de revenus. Ce type de crédits propose des prêts qui vont de 500 dirhams à 50 000 dirhams au maximum à un taux d’intérêt effectif moyen de 35 % mais qui peut aller largement au-delà en fonction du montant emprunté et / ou de son échéance. Ces crédits sont accordés à des personnes qui n’ont pas accès aux services financiers classiques pour obtenir des moyens de financement.
Cette expérience est apparue pour la première fois au Bangladesh, lorsque l’économiste bengalais Muhammad Yunus a fondé la Grameen Bank. Cette initiative a été appuyée par la Banque mondiale et le gouvernement des États-Unis notamment, et très rapidement, les microcrédits se sont répandus à travers le monde, en particulier dans les pays du Sud où les revenus sont faibles et la pauvreté élevée. Dès ses débuts, la micro finance a joui d’un large soutien universel de la 8 part des institutions financières internationales, des experts du développement économique qui soutiennent le modèle de développement néolibéral. Elle a été considérée comme un véhicule parfait pour aider les pauvres à surmonter l’état de pauvreté à partir de leur propre initiative et à devenir des entrepreneurs actifs contribuant au développement économique de leurs pays.
Le Maroc, tout comme le reste des pays les plus pauvres du monde, a vu l’idée de microcrédit se répandre au milieu des années 1990, et c’est ainsi que se sont multipliées les institutions de micro finance. Il y a aujourd’hui 13 fondations qui coordonnent leurs travaux dans le cadre de la Fédération nationale des associations de microcrédits.
Ce secteur a connu, à ses débuts, un soutien financier sous forme de dons et de subventions provenant d’organismes financiers nationaux ou étrangers, tels que le Fonds Hassan II pour le développement, le Programme des Nations unies pour le développement ou l’Agence américaine de développement. La contribution financière de l’État à ce secteur montre à quel point il a misé sur lui pour contribuer à la réduction des taux de pauvreté. Après la période de croissance qu’a connue ce secteur, que ce soit au niveau de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient ou au niveau mondial au début de la décennie 2000, en termes de nombre de clients et de montants des prêts décaissés, la micro finance est entrée en crise du fait des défaillances de remboursement des crédits entre 2008 et 2011, liées en particulier à la multiplication des crédits, l’un servant à rembourser l’autre . Suite à cette crise des microcrédits et afin de rétablir la confiance, L’État a déployé des efforts pour développer ce secteur en modifiant le cadre réglementaire et juridique, qui permet aux fournisseurs de microcrédits de diversifier les services financiers à l’égard des emprunteurs. Ainsi, il est devenu possible d’inclure le transfert d’argent et les crédits d’assurance, et d’intégrer de plus en plus les activités financières classiques des banques.
Aujourd’hui, sous le parapluie de la lutte contre la pauvreté, les investisseurs utilisent les microcrédits afin de convertir une partie des ressources des pauvres en profits qu’ils obtiennent en imposant des taux d’intérêt très élevés. Nous sommes donc face à une activité très Rentable.
Ce type de crédits cible pour une grande part les femmes, les plus démunies en termes de ressources et les plus touchées par la privatisation des services publics d’une part, et parce qu’elles travaillent fréquemment dans de petites activités productives à faible rentabilité. De surcroît, habituées à répondre aux besoins de la famille, elles sont réputées meilleures gestionnaires de leurs fonds et mieux respecter leurs engagements à rembourser les montants empruntés. Préférer et cibler les femmes par ce genre de crédits est donc un choix qui ne vise pas la réalisation de l’autonomie des femmes et l’amélioration de leurs capacités, mais l’exploitation de leur potentiel et de leur analphabétisme et, du fait que, dans une société patriarcale, elles sont plus soumises que les hommes.
Malgré une période d’activité assez courte, les institutions de microcrédit ont causé des dommages sociaux et économiques importants à « leurs clients » au niveau mondial. Au lieu d’aider les pauvres, leurs conditions de vie se sont en règle générale détériorées, en raison de leur endettement excessif ou encore de leur incapacité à rembourser leurs dettes. Ceci a exacerbé la misère des pauvres, ce qui a été mis en évidence par les vagues de suicide chez les femmes, en Inde notamment, et la souffrance des victimes dans la plupart des pays qui ont connu une explosion de la micro finance comme certains pays d’Amérique latine ou le Maroc.
Les difficultés de remboursement d’emprunts excessifs et l’application de taux d’intérêt très élevés au Maroc expliquent la naissance d’un mouvement de victimes des microcrédits à Ouarzazate, en 2011 où les emprunteurs et emprunteuses ont décidé de s’organiser pour faire face aux abus des institutions de microcrédits et exiger l’arrêt du paiement de ces dettes illégitimes.
A travers sa lutte, ce mouvement a révélé la fausseté de l’objectif déclaré des institutions de la micro finance jusque dans la loi qui les régit, et les moyens illégaux auxquels elles ont recours dans les cas de dettes impayées. Les emprunteurs ont été soumis à diverses formes de menaces et dépouillés de leurs biens. Les femmes en particulier ont dû faire face à d’énormes pressions : certaines ont quitté leurs familles, d’autres ont émigré, certaines se sont vu forcées à recourir à la prostitution. Les organisateurs du mouvement, quant à eux, ont été poursuivis en justice par les tribunaux de Ouarzazate qui, dans un premier temps, ont prononcé des peines sévères pour briser la lutte des victimes et arrêter la propagation de la demande d’annulation des dettes. Les procès des victimes des microcrédits au Maroc ont montré comment la « justice » se range du côté de la partie la plus forte, c’est-à-dire des institutions de micro finance et des bailleurs de fonds, même si, en raison de la forte mobilisation des victimes et de la solidarité internationale qu’elles ont reçue, le tribunal a finalement prononcé l’acquittement.
L’association ATTAC CADTM Maroc a soutenu la lutte des victimes du microcrédit et l’a considérée comme une lutte légitime contre la cupidité des institutions financières et les investisseurs qui les contrôlent, que ce soit sur le plan national ou international. ATTAC CADTM Maroc a cherché à faire connaître cette lutte à l’échelle nationale et internationale et a organisé un séminaire international sur « Les femmes, l’endettement et les microcrédits » ainsi qu’une caravane internationale de solidarité en avril 2014
En outre, elle a publié deux brochures intitulées «Le microcrédit ou le business de la pauvreté » en français et « La bataille des femmes contre les microcrédits » en arabe.
La présente étude entre par conséquent dans le cadre d’efforts continus de l’association ATTAC CADTM Maroc et d’un travail de recherche et d’analyse visant à établir une connaissance plus approfondie sur ce sujet. Cette étude comprend, dans la première partie, les résultats d’une enquête de terrain, dont le but est l’étude de la situation sociale et économique des groupes ciblés par les microcrédits. La deuxième partie offre une analyse de la légitimité et de la légalité des contrats de microcrédits afin d’identifier la nature de la relation entre les parties contractantes, et déterminer si ces contrats sont conformes à la loi. La troisième partie fait le bilan de la micro finance au Maroc et analyse les évolutions de ce secteur et de ses objectifs.
Cette étude constitue pour l’Association ATTAC Maroc, qui est membre du réseau international du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, un outil lui permettant d’affiner ses arguments sur la question de la micro finance, et de montrer que les microcrédits n’ont pas été mis en œuvre pour lutter contre la pauvreté, mais pour élargir l’assiette du capital financier par la confiscation des avoirs des masses paupérisées en vue d’élargir ses bénéfices.