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Micro-crédit Dégage ! Sur la lutte des femmes d’Ouarzazate

 

 

Micro-crédit Dégage ! Sur la lutte des femmes d’Ouarzazate

 

Majdouline Benkhraba, ATTAC Maroc[1]

 

Mon intervention aborde l’histoire et le développement du mouvement des victimes des micro-crédits au Maroc, plus précisément à la région d’Ouarzazate. Ce texte ne vise pas à présenter un mouvement exemplaire et héroïque venu du Sud, mais plutôt à partager l’expérience de femmes qui ont dit Non à leur manière à la dictature de la micro-finance. Ce combat est loin d’être fini et la victoire de ces femmes n’est pas assurée. 

Mon intervention se compose en quatre parties. En introduction, je donnerai quelques indicateurs sur le contexte régional de cette lutte. Ensuite, je vais aborder les débuts et le développement de ce mouvement. Puis, je rappellerai la chronologie du feuilleton judiciaire en cours pour réprimer la lutte des victimes. Cette répression a donné lieu à un élan de solidarité nationale et internationale. En conclusion, je déclinerai ce qui me semble être les défis à relever par ce mouvement 

Portrait socio-économique de la région 

La province d’Ouarzazate est située au Sud-est marocain. Sa population est de 520 000 habitants. Trois indicateurs à retenir : 

Cette province détient des records nationaux de pauvreté. Elle compte les taux les plus élevés au Maroc à la province de Zagora où des villages connaissent un taux de pauvreté qui dépassent les 50 % ! Les conditions de vie sont extrêmement difficiles surtout en milieu rural : absence de routes, climat aride et rareté des ressources hydrauliques, la région est déclarée comme un désert médical.

En milieu urbain, la crise économique et financière de 2008 est passée par là. Le tourisme et le secteur cinématographique dans la ville d’Ouarzazate et ses environs sont au point mort, les licenciements se comptent par centaines.

Deux autres éléments importants à signaler dans le portrait de cette région :

  1. Ouarzazate et sa région ont été un bastion de luttes ouvrières et populaires : secteur des mines, secteurs publics, tourisme, surtout ces dernières années
  2. Les sols de la région sont des plus riches du Maroc : les sociétés minières exploitent des mines d’or, de cobalt, de cuivre et d’argent…

C’est tout le paradoxe de cette région très riche à la population pauvre. Ce contexte est un terrain fertile pour les Institutions de micro-finance (IMC) pour vendre leurs « produits » à une population majoritairement analphabète et dans le besoin.

Début et développement du mouvement des victimes des micro-crédits

Tout commence en mai 2011, c’est la période des manifestations du mouvement du 20 février, variante marocaine du printemps des peuples. Les premières victimes manifestent à Ouarzazate. Elles sont rejoints par d’autres femmes victimes dans les villes du Sud-est : Agdz, Zagoura, Tagounit, M’hamid Ghizlan, Kalâa Magouna.  Le nombre de victimes : un  millier, en grande majorité des femmes. Ce mouvement original au Maroc et dans la région apporte une critique sur le fond et la forme de ce système vanté depuis des années.  

Sur la forme

Sur le fond

Chronologie d’un feuilleton judiciaire

 

L’action de ce mouvement a inquiété dès le départ les IMC et l’Etat qui fait la promotion de ces institutions. Leurs réponses n’ont pas tardé surtout qu’en juillet 2011, 1200 victimes déposent plainte contre les quatre plus grandes IMC au Maroc (Amana, Al Baraka, Inmaâ, La Fondation Banque populaire). A partir de cette date commence un harcèlement judiciaire des animateurs de ce mouvement :

 

Janvier 2012 : A leur tour ces quatre IMC portent plainte contre les deux coordinateurs du mouvement ; Amina Mourad et Benaceur Ismaini, pour escroquerie, diffamation et menaces.

Les chefs d’accusation sont montés de toutes pièces.   

Le procès a été reporté 15 fois !!

Coup de théâtre : Début, 2013, Les 4 associations de micro-crédit retirent leurs plaintes et les témoins refusent d’enfoncer les deux militants et nient ce qu’ils ont déclaré à la police

 

Avril 2013 : Le verdict en 1ère Instance innocente les deux militants des charges lourdes et les condamnent à une amende de 400 euros chacun pour diffamation.

Nouveau Coup de théâtre : En septembre 2013, l’association INMAA, lié à Planet Finances relance ce procès en Appel. Un nouveau procès fleuve commence. Ils sont poursuivis pour diffamation et insultes (ils ont scandé des slogans devant le Tribunal) et escroquerie encore une fois.

Verdict en février 2014 : 1 an de prison ferme et 1000 euros d’amende chacun    

 

Nouvelle étape : les deux coordinateurs du mouvement ont déposé un pourvoi en cassation, la date de cette ultime phase du procès n’a pas encore été fixée.

 

Que retenir de ce feuilleton judiciaire :

 

Le mouvement de solidarité :

 

Cette lutte menée depuis 2011 a gagné la solidarité nationale et internationale. Entre 2012 et 2014, Attac Maroc soutenu cette lutte, à travers l’implication de ses militants et du Comité femmes de l’association. Des caravanes nationales ont été organisées par l’association. La première s’est tenue le 8 mars 2012 et la deuxième en fin 2013. 

 

En 2014, le réseau CADTM Afrique a organisé son  deuxième Séminaire de renforcement des capacités des femmes sur la dette et l’audit à Ouarzazate. Cette activité était le point de départ d’une Caravane internationale en avril dernier dans la région pour témoigner notre solidarité avec cette lutte en cours. Cette caravane a connu la participation 15 délégations étrangères avec un total de 103 participants. À cette occasion, nous avons édité une brochure bilingue français/arabe sur ce sujet.     

Egalement, l’association a fait un suivi du procès à travers des communiqués tout au long de cette procédure judiciaire. Malgré ces efforts, notre contribution demeure modeste au vu de l’ampleur de ce dossier qui demande l’implication d’un plus nombre d’ONG nationales et internationales.    

Les défis de ce mouvement 

 

Le travail avec ce mouvement unique au Maroc et le travail sur la question du micro-crédit en général, nous pose plusieurs défis en tant qu’Attac Maroc et l’ensemble des membres du Réseau CADTM. Ces défis sont les suivant :

 

  1. La solidarité nationale et internationale avec ces victimes est d’une grande urgence. Je saisis cette occasion, pour appeler à multiplier les initiatives de solidarité avec ce mouvement
  2. La crédibilité du mouvement est à renforcer à travers :

Attac Maroc prévoit de lancer une étude de terrain par nos militantes et une autre étude sur l’aspect juridiques en collaboration avec des juristes.

 

Conclusion 

 

A travers nos visites et nos caravanes, le premier constat et qui saute aux yeux, c’est que l’entrée des micro-crédits a bouleversé le mode de vie de ces villages et a dénaturé les relations sociales de ces régions rurales.

 

Nous sommes dans une région du Maroc, tellement sinistrée, sans infrastructures et services publics que les micro-crédits servent désormais à pallier l’absence de ces services de bases. Ces MC servent aujourd’hui pour financer les soins de santé, les frais de scolarité des enfants, etc…

Ainsi la boucle est bouclée. Dans un pays où le néolibéralisme a fait que tous les secteurs publics soient privatisés et inaccessibles pour les populations pauvres, les micro-crédits sont un léger calmant aux maux d’un modèle économique qui ne veut pas et n’arrive pas à répartir la richesse entre les régions du pays et qui ne permet pas à la grande majorité des Marocains d’accéder à une vie digne.    


[1] Ce texte est mon intervention sur lors de l’atelier « Dégage micro-crédits dégage » organisé aux Rencontres d’été 2014 du CADTM le 13 septembre à Namur.

 

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