Néolibéralisme

Pauvreté en Afrique, les non-dits de la Banque mondiale

Pauvreté en Afrique, les non-dits de la Banque mondiale 

SalaheddineLemaizi, membre d’ATTAC CADTM Maroc et Comité des études et de plaidoyer du CADTM Afrique.

Un nouveau rapport de la Banque mondiale nous informe que« le nombre d’Africains vivant dans l’extrême pauvreté a considérablement augmenté depuis 1990 », passant de 280 millions de personnes en 1990 vivant avec moins 1,25 $/jour à 330 millions en 2012. Pour le porte drapeau de l’idéologie néolibérale dans les pays du Sud, cette évolution est due à deux facteurs : démographique et statistique.« Des obstacles majeurs persistent, compte tenu de la croissance démographique rapide que connaît cette région du monde », peut-on lire dans ce document.

Les auteurs du rapport « Povertyin a rising Africa »[1] imputent cette progression également à la faiblesse de l’information statistique dans les pays de l’Afrique subsaharienne. Soit. Sauf que la Banque mondiale omet de signaler un « détail » : l’augmentation du nombre de personnes vivant en situation d’extrême pauvreté et la persistance des fortes inégalités sur le continent sont les conséquences directes des politiques de réduction de la pauvreté recommandées par cette même institution depuis les années 90. Depuis la sortie officielle de l’ajustement, ces choix néolibéraux continuent d’avoir des conséquences dramatiques sur la vie des populations africaines.

 « Merci » la Banque mondiale !

Certes, le pourcentage d’Africains pauvres a chuté de 56 % en 1990 à 43 % en 2012. Les taux d’alphabétisation chez les adultes ont gagné quatre points de pourcentage et les disparités entre les sexes ont été réduites. L’espérance de vie a augmenté de six ans, et la prévalence de la malnutrition chronique chez les enfants de moins de cinq ans a baissé de six points de pourcentage, pour s’établir à 39 %. Faut-il se priver de se réjouir de ses améliorations des conditions de vie de cette population ?

Penser que la lutte contre la pauvreté en Afrique gagne du terrain est un leurre. Le rythme de l’éradication de la  pauvreté sur le continent et ses trois sous-régions demeure très lent. L’échec des Objectifs du développement du millénaire (OMD) s’explique, en bonne partie, par la non-atteinte des objectifs fixés en Afrique subsaharienne.

Un rapport du PNUD, de la BAD, de la Commission économique pour l’Afrique et de l’Union africaine confirme ce constat : « Par rapport aux autres régions en développement, les progrès déployés pour lutter contre la pauvreté ont été lents dans toute l’Afrique. En Afrique subsaharienne, les niveaux de pauvreté ont baissé, passant de 56,5 % en 1990 à 48,4 % en 2010, soit une réduction de 8 %, qui reste tout de même loin de la cible de 28,25 % fixée pour 2015 »[2]. Comme l’indique le graphique ci-dessous, tiré du même rapport.

 

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Sans oublier que, comme nous l’avons indiqué en introduction, le nombre brut d’Africains pauvres continue à augmenter de façon très sensible.

 

Payer la dette ou éradiquer la pauvreté ?

 

Le soi-disantessor de l’économie africaine n’a rien changé dans la vie des populations africaines. « La croissance n’a pas suffi à appuyer lesefforts de réduction de la pauvreté. Tributaires desproduits primaires, de nombreux pays, notammenten Afrique subsaharienne, sont ainsi vulnérablesà des chocs susceptibles d’interrompreles progrès en matière de développement », signale ce rapport.

Pourtant, durant une décennie, la croissance économique a été au rendez-vous (une  moyenne de 5% durant la décennie 2000). La hausse des cours mondiaux des matières premières a gonflé les performances économiques, sans se traduire par une amélioration significative des conditions de vie. La part qui revient au capital au détriment du travail n’a fait qu’augmenter. D’ailleurs, le rapport de la BM cité ci-dessus n’a pas manqué de le signaler. « L’on assiste à une augmentation du nombre de personnes très fortunées », note l’institution. Les milliardaires Dangote, Rupert,Wiese, Mohammed VI[3] ou Sawiris ont profité de cette croissance africaine pour gravir les échelons du classementde Forbes[4].

Pendant ce temps, sept des dix pays les plus inégalitaires au monde sont situés en Afrique, et principalement en Afrique australe.La BM fait deux constats sous forme d’aveu d’échec : « C’est dans les pays fragiles que la réduction de la pauvreté est la plus lente ». Ensuite : « les habitants des pays riches en ressources naturelles sont moins bien lotis sur le plan des indicateurs de bien-être humain » !

Face à ces constats, connus de longues dates, une question se pose : Pourquoi la  Banque mondiale qui mène des politiques de réduction de la pauvreté sur le continent depuis deux décennies échoue lamentablement ? Je rappelle que depuis la soit-disant sortie de l’ajustement structurel, la BM œuvre, selon son slogan, pour « un monde sans pauvreté ». Une des réponses possible à cette question est que la nature des politiques économiques choisies soit à l’origine de cette situation. Des choix (plutôt des diktats) liés directement à un mode de financement du « développement » qui fait de l’endettement sa pierre angulaire.

Sur cet aspect, la publication « Les chiffres de la dette en 2015 »[5]édité par notre réseau, le Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde,livre des données omises par la Banque mondiale. Pour les pays d’Afrique subsaharienne, les montants totaux de la dette externe ont été multipliés par 165 fois entre 1970 et 2012, passant de 2 milliards de dollars à 331 Mds $ à 2012. Au coursde cette période, les trente pays ont remboursé 217 fois la quantité initiale due en1970.

Comme le rappelle la charte politique du CADTM, « dans la plupart des pays du Sud, le remboursement de la dette publique représente chaque année une somme supérieure aux dépenses d’éducation, de santé, de développement rural et de création d’emploi ». Or la pauvreté ne se mesure pas seulement en montant des revenus ou en quantité de calories consommées, elle se mesure aussi en accès aux services publics de base, eau et assainissment, électricité, santé, éducation, transports, services aujourd’hui sous-budgétisés et largement privatisés.En donnant la priorité au remboursement de la dette et à la « croissance », la Banque mondiale et les dirigeants des pays africains tournent le dos à tout objectif d’éradication de la pauvreté sur le continent. Les peuples résistent et militent pour d’autres alternatives basé sur l’annulation de la dette, la redistribution des richesses et l’égalité sociale.

S. Lemaizi

[1] A lire :Poverty in a rising Africa , GroupeMondiale, https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/22575

 

[2]Rapport OMD 2015 – Évaluation des progrès réalisés en Afrique pour atteindre les OMD réalisé par le PNUD, de la BAD, de la Commission économique pour l’Afrique et de l’Union africaine, à lire sur : http://www.uneca.org/fr/publications/rapport-omd-2015-%C3%A9valuation-des-progr%C3%A8s-r%C3%A9alis%C3%A9s-en-afrique-pour-atteindre-les-omd

[3] Pour le cas du Maroc, lire « MarocAfric » ou l’investissement marocain en Afrique subsaharienne http://cadtm.org/MarocAfric-ou-l-investissement

[4]Africa’s 50 Richest, Forbes, http://www.forbes.com/africa-billionaires/list/#tab:overall

[5] Les chiffres de la dette 2015, par le CADTM, à consulter sur http://cadtm.org/Les-chiffres-de-la-dette-2015,271

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