Luttes

Casablanca : la lutte des enseignants stagiaires

Casablanca : la lutte des enseignants stagiaires 

Les enseignants stagiaires poursuivent leur mouvement au niveau national depuis maintenant 4 mois contre les réformes du gouvernement, les menaces et la répression .[1]

 

La lutte des enseignants stagiaires se poursuit dans plusieurs villes et touche la plupart des régions du Maroc. Une nouvelle génération, en majorité des femmes, déterminée et combative, résiste face à un gouvernement sourd et la répression toujours pour seule réponse.

A Casablanca le mercredi 13 janvier 2016, la coordination des enseignants stagiaires a organisé et réussi à tenir un sit in  devant les deux tours des Twin Center -symbole de la finance et vitrine de la mondialisation libérale – et bloqué la circulation dans ce point névralgique de la ville- pour affirmer leurs droits : contre la sélection  pour l’enseignement publique, contre la répression aveugle qui frappe leur mouvement dans plusieurs villes du Maroc et les menaces du gouvernement.

Le lendemain  jeudi 14 janvier la coordination avait appelé à un rassemblement au centre

de Casablanca à partir de 17h, Place Maréchal.

La place Maréchal, face au Café de France- qui a refait sa façade sans changer de nom- a été cernée par un impressionnant déploiement des divers forces de répression, de caïd aux chioukhs, de flics civils de toutes sortes, de baltagis, de photographes véreux, des barbouzes aux gros bras, des faux-mendiants, des vrais prêts à tabasser…. Un impressionnant déploiement  d’estafettes, des vieilles et des nouvelles rutilantes, des flics à moto, des téléphones nouvelles générations…

L’accès à la place a été cerné, les ruelles gardées, des patrouilles et matraques menacent

Vers 18h une centaine de militant.es étaient encerclé.es par plusieurs barrages. Impossible de rentrer dans le cercle: différentes forces de répression en contrôle l’accès. Un photographe présent durant les manifs du M20F, me salue et surtout m’indique d’un regard complice à un agent galonné qui me barre le passage.

Je reste à l’extérieur du cercle de militants qui scandent slogans contre la répression et

qui sont encerclés par plus du double en force de répression.

De l’extérieur du cercle nous sommes quelques uns à observer ceux qui surveillent, contrôlent, provoquent. Ils nous poussent, repoussent, mais quelques curieux s’approchent. Nous sommes photographiés plus ou moins discrètement par des civils.

Ce jeu de nous pousser se poursuit, tantôt menaçant, tantôt protecteur.

 

La vieille médina, derrière ses remparts :

La vieille médina est en face, mais ses habitants ne nous rejoignent pas. Un bouclier sécuritaire empêche le rassemblement,  craignant par dessus tout la rencontre, entre manifestants et citoyens.

La ville est cloisonnée sur la Place Maréchal. Le tramway de Casablanca sponsorisé[2] et récupéré par la RATP[3] et poursuit son trajet chaotique comme si de rien n’était en attendant l’annonce de l’augmentation du ticket[4] … La muraille de la vieille médina, vandalisée, faite, mal faite puis refaite, à coup de plusieurs budgets, détournés … continue à se délabrer sans cesse.

La population cloitrée dans la vieille médina continue de vivre isolée du centre ville dite moderne conçu par et pour les colons du temps de la colonisation française[5].

La tour de l’Horloge[6]  destinée à indiquer l’heure exacte de ses 4 côtés et ainsi « inculquer aux indigènes » un autre espace-temps : le temps de l’exploitation capitaliste qui compte les sous, le temps de plus en plus rapide qui vaut de l’argent, qui apporte le progrès, la modernité… aux indigènes aujourd’hui privatisés.

Aujourd’hui, 60 ans après l’indépendance, l’horloge est toujours là et sur chacune des 4 faces, une heure différente: quelle heure, quel temps, celui de l’exploitation, de la domination, du temps qui passe, du chômage et de l’exclusion, de la pauvreté, de l’exclusion et démolition, des expropriations des populations , d’un urbanisme sauvage qui démantibule les espaces et les résistances, les solidarités et les métiers qui disparaissent à jamais qui ont fait cette ville autour de la mer et la campagne, les marins et les agriculteurs, les pêcheurs et les paysans, ceux qui vivent de la mer et la terre, ceux qui nourrissaient la communauté villageoise et paysanne, et faire vivre Casa La Blanche.

 

Aujourd’hui Casa Moll mondialisée :

Le port se transforme en Marina, la vieille gare en Gare avec toutes les franchises du monde pour boire manger, s’habiller, consommer, mêmes si les distributeurs à billets ne marchent pas, si le café hors prix est imbuvable, que le thé à la menthe n’existe pas dans ce commerce franchisé, ni un bout de pain quand on a faim. Il faut manger des marques américaine, française, espagnole, italienne… même si le porc se transforme en dinde pour se mettre au gout sur terre d’islam et surtout ne pas perdre de client-es, la bière, faut pas abuser en attendant la laïcité commerciale, l’eau claire et pure introuvable, sauf en bouteilles plastifiées au nom de méga trust qui a embouteillé et marchandisé notre eau commune… Et partout, du parking aux WC, des entrées aux sorties, des vigiles, la Sécurité Privée et Mondialisée, de celle qui traite et sous-traite la torture des Palestiniens dans les prisons israéliennes, à celles qui convoient les fonds des Banques, surveillent les Holdings, les Hôtels, les Administrations, les boutiques de Luxe, les supermarchés, les villas haut perchées sur la colline, … qui paradent à côté des autres forces sécuritaires et militaires que nous payons nous citoyens pour nous matraquer, perquisitionner, surveiller , menacer, et interdire de dire stop, ça suffit…

Dans cette ville « moderne » démantibulée, quel espace publique nous reste-il citoyen.nes ? Où  nous rassembler, quel espace pour faire entendre nos voix, crier notre colère, unir nos forces, libérer nos révoltes à venir?

La Résistance, notre révolte a-t-elle déjà été marchandisée, accaparée, dévoyée par la Société Civile, Face book et Réseaux Sociaux qui ont largement informé, partagé, twitté leur colère contre le tabassage et la répression du mouvement dans différentes villes, mais n’a pu rassembler au-delà des 100 manifestants non virtuels qui ont bravé l’impressionnant déploiement répressif et crié leur révolte ? (Sans compter certains qui paradent pour leur parti politique devant la télé pour donner bon crédit à la « démocratie marocaine » )

Sur la place Maréchal à Casablanca, la première ville industrielle, économique, ouvrière…  ?

Avec qui, comment et où unir nos forces, répandre notre colère ? étendre notre colère réelle, celle qui n’est pas virtuelle ?

 

 

Pourquoi et comment  en somme-nous  arrivé là ?

Qu’on se rappelle de mémoire vive le mars 1965 qui souleva la population !

Quand au lendemain de l’Indépendance fraichement acquise, le gouvernement avait décidé de toucher à l’Enseignement Publique… le 23 mars 1965, une manifestation d’étudiants partie de 13 lycées de Casablanca  contre les décisions prises par le Ministère de l’Education Nationale d’instaurer la sélection au brevet et l’accès à l’enseignement secondaire faute de place dans les écoles.

Quand 3000 élèves, garçons et filles sont arrêtés, le lendemain , les parents, ouvriers, chômeurs, artisans, petits commerçants descendent dans la rue et affrontent une répression féroce : la police tire sur les manifestants : des centaines de morts , des arrestations en masse.

La fureur populaire éclate, par milliers les manifestants prennent la rue, attaquent la prison.

Le 26 mars, l’UMT déclenche la grève générale à Casablanca et de grandes manifestations s’étendent dans toutes les grandes villes et se poursuivent le 27 mars dans d’autres villes …

La violence de la répression aurait fait 2500 victimes et l’opposition demande la chute du gouvernement. Hassan 2, après avoir échoué à constituer un gouvernement d’ « union nationale » (UNFP et Parti d’Istiqlal), proclame l’état d’exception, suspend la Constitution et dissout le parlement. Un coup d’Etat du roi, Hassan 2 qui déclara sur l’unique chaine de télévision nationale (et l’unique marque de télévision en noir &blanc):

« Le pays, réclame un pouvoir fort, un pouvoir juste, un pouvoir stable ».

Ce que l’UNEM d’alors avait qualifié d’ « un régime de coups d’Etat permanents » et qui continue en permanence depuis l’indépendance : le pouvoir absolu de Palais pour assurer la défense du capital : la propriété privée, aujourd’hui définitivement  privatisée, mondialisée, financiarisée avec le règne de m6. Et le peuple endetté, affamé, sans travail…

 

Nouvelles générations, nouvelles luttes :

Aujourd’hui, en 2016, dans les villes et les campagnes, la population qui subit de plein fouet  les effets de la mondialisation, les conséquences des privatisations des secteurs sociaux de base, les démantèlements des faibles acquis, le chômage massif, la liquidation de l’enseignement public, des services de santé de base, des transports, logements, équipements, agriculture, pêche, tout sacrifié au nom d’une « modernisation » générale imposée par le capital mondialisé… avec en prime de nouvelles matraques et la haute technologie pour nous réprimer.

Politique qui n’a fait que plus de laissés pour compte, du chômage surtout parmi les jeunes générations, démolition d’écoles et lycées publics, l’expansion dans tout le pays des effets de la mondialisation : plus de pauvres, plus de malheurs pour rembourser  les dettes  dont nous ne sommes pas responsables.

Aujourd’hui la lutte des enseignants stagiaires est un énorme défi pour réveiller les consciences hypnotisées par les chimères de modernisation qui s’achètent toutes à crédit et abandonnent nos équipements publics sociaux de base et nos biens communs aux mains des capitalistes prédateurs.

Aujourd’hui la lutte des enseignants stagiaires est un énorme défi pour nous réveiller du nord au sud. Reprendre en main nos droits, tous nos droits : sociaux, économiques, politiques pour reconquérir notre souveraineté, notre indépendance.

La lutte se poursuit et la solidarité la plus large est urgente avec la lutte  que poursuivent  les enseignants stagiaires aujourd’hui.

Souad G.

18 janvier 2016

 

[1] https://attacmaroc.org/fr/2016/01/09/attac-cadtm-maroc-elargissons-la-solidarite-avec-la-lutte-des-enseignant-es-stagiaires-jusqua-la-victoire/

[2] http://www.bladi.net/station-hopitaux-wafasalaf,44091.html

[3] http://www.bladi.net/ratp-tramway-casablanca,44024.html

[4] http://www.bladi.net/augmentation-prix-ticket-tramway,43987.html

[5] En 1781, le roi Mohamed 3 autorise l’exportation du blé. Le port devient important centre de négoce de laine, blé et thé. Fin du 19ème siècle, le trafic commercial prend une dimension internationale.  Dès 1906, des travaux commencent pour transformer la bourgade enfermée dans ses murailles en port moderne.

[6] La tour de l’Horloge : construite en 1910, sur décision du général Dessigny : « un minaret laïque pour introduire l’heure et l’ordre coloniaux ». Abattue en 1940 pour élargir la voie, la tour a été reconstruite en 1992 à l’identique.

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