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Finance islamique, principes et limites

 

Finance islamique, principes et limites

Majdouline Benkhraba & Salaheddine Lemaizi*, militants d’ATTAC Maroc, membre du réseau CADTM 

Depuis la crise financière de 2008, la finance islamique est présentée comme une solution alternative à la « finance classique ». La finance version « Islam » serait « anti-crise, éthique et rattachée à l’économie réelle ». Loin des discours promotionnels ou idéologiques, qu’en est-il en réalité ?

La finance islamique est une partie intégrante de la finance mondiale. Elle a quitté ses territoires de naissance, l’Asie du Sud et les pays du Golfe persique, pour prospecter de nouveaux clients et marchés en Amérique du Nord et en Europe. Ce texte présente une brève histoire de ce système financier, ses principes fondateurs, ses produits et quelques chiffres sur son évolution. En dernière partie nous allons aborder les principales critiques adressées à la finance islamique. Nous précisons d’entrée de jeu, que ce texte n’est qu’un premier travail de présentation de ce segment financier, ce travail sera approfondi ultérieurement.  

Une brève histoire

Selon l’économiste américain Timur Kuran[1], les principes théoriques de la finance islamique ont une histoire relativement courte. Le premier à avoir développé l’idée d’une finance made in Islam est Abul Ala Maududi (1903-1979). Ce théologien et idéologue pakistanais du mouvement islamiste[2] a été le premier à formuler les idées fondatrices de ce système financier à partir des années 1940.

L’égyptien Sayed Qotb (1906-1966) contribue également à l’élaboration des principes de ce système financier, en tant qu’idéologue islamiste des Frères Musulmans. Ses travaux contribuent à créer Mit Ghamr, une des premières banques islamiques aux débuts des années 60.

* Ce texte fait partie des travaux réalisés dans le cadre de la formation organisée par ATTAC Maroc, membre du réseau CADTM et le CADTM Belgique pour le renforcement des capacités des militants de l’association entre septembre 2014 et janvier 2015.

 

Donc, la finance islamique est intimement liée au développement par les islamistes « d’alternatives » politiques et économiques issues du corpus musulman, résumé par le slogan trompeur : « L’Islam est la Solution ». L’objectif était de renforcer la crédibilité de ce courant politique auprès de sociétés à majorité musulmane.  L’internationalisation de cette finance l’oblige à troquer les arguments idéologiques en faveur d’arguments « éthiques ». Ainsi, on préfère mettre en avant le terme « finance participative » au lieu « d’islamique ».

Définition et principes

Le terme « finance islamique » recouvre l’ensemble des transactions et produits financiers conformes aux principes de la « Charia » (loi coranique)[3]. Au départ, ce secteur visait à répondre aux besoins de financement de musulmans, dans le respect de leurs convictions religieuses. Ces personnes n’adhèrent pas aux principes de fonctionnement du système de crédit usurier.

La Finance islamique se fonde sur 5 piliers. En théorie, ce secteur devrait respecter les règles suivantes :

Obligations 

  1.       I.            La participation : Le partage équitable des pertes et des profits entre tous les participants à l’acte du crédit.
  2.  II.            L’investissement dans l’économie réelle : L’établissement de crédit est partie prenante du projet d’investissement qui doit concerner les secteurs productifs.

Interdictions 

  1. Al mayssir (La spéculation)
  2. Al gharar (Les investissements illicites) : Si les natures des investissements ne sont pas connues de toutes les parties, il est interdit d’investir dans des secteurs considérés comme illicites en Islam (alcool, tabac, paris, etc.).
  3. Riba (L’usure) : Il est interdit de gagner de l’argent grâce à l’argent. Il faut prendre part réellement au projet.

 

Les produits

 

La finance islamique a créé des mécanismes juridico-financiers pour contourner l’interdiction du prêt à intérêts, par des « hiyal » (ruses), tout en rémunérant l’apporteur de capitaux. La finance islamique compte 2 types d’instruments et 4 produits phares :

Les instruments de financement :

« Al Mourabaha » : La banque achète un actif pour le compte de son client. Ensuite, le créancier revend cet actif au client moyennant des paiements sur une période donnée, à un prix supérieur au prix d’achat, convenu d’avance entre les deux parties. Le coût final de l’opération n’est pas nécessairement inférieur à celui d’un crédit classique, mais le recours à l’intérêt a été contourné, puisque la banque a effectué une opération commerciale, pas un “crédit”. Trois distinctions par rapport au crédit classique :

–         L’opération est adossée à un actif réel, car la banque est propriétaire de l’actif

–         Il n’y a pas d’intérêt. Le créancier se rémunère par le biais d’une majoration du prix d’achat du bien

–         Le montant de la marge bénéficiaire ne varie pas dans le temps : il est fixé au préalable

 

« Ijara » : Instrument proche du crédit-bail (leasing). Il consiste pour le créancier (la banque) à acheter des biens qu’il loue à un client pouvant bénéficier de la possibilité de rachat, au terme du contrat. Quelques différences avec le crédit-bail « classique » : il n’y a pas de pénalités de  retard de paiement, la disparition du bien entraîne automatiquement la nullité du contrat (partage des pertes et des profits).

Les instruments participatifs :

« Moudaraba » : Ce produit permet à un promoteur (moudarab) de mener un projet grâce à des fonds avancés par des apporteurs de capitaux, dont la clé de répartition des gains et des pertes est fixée dès le départ. Les apporteurs de capitaux supportent entièrement les pertes, les promoteurs ne perdant que le fruit de leur travail.

« Mousharaka »: Cette opération est une association de deux partenaires pour investir dans un projet, et partageant les bénéfices en fonction du capital investi. Dans l’éventualité d’une perte, celle-ci est supportée par les deux parties au prorata du capital investi. La nature de cette opération s’apparente finalement à une joint- venture.

La finance islamique en chiffres

Depuis quatre ans, la finance islamique connait une croissance de 17 %  en moyenne par an. Le taux de profit de ce segment est de 12,6 % contre 15 % pour les banques « classiques ». Le Chiffre d’Affaires mondial du secteur est en croissance continue. Il est passé de 700 milliards de USD en 2008 à 1700 Mds USD en 2013, en hausse de 59 % en cinq ans[4]. Il demeure comme une goutte d’eau dans l’océan de la finance mondiale. La finance islamique représente à peine 1 % du  marché financier mondial.

La finance islamique a intéressé très tôt les banques « classiques », mais depuis une décennie, cette niche fait saliver les grandes banques mondiales. La Citibank a été la première à ouvrir sa filiale islamique en 1996 à Bahreïn. À son tour, la britannique HSBC crée Amanah Finance en 1998 à Dubaï. Quatre ans plus tard, c’est UBS qui créé sa filiale Noriba Bank à Bahreïn. Les banques françaises se lancent tardivement à l’assaut de ce marché.  En 2003, BNP-Paribas lance une unité de banque islamique à Bahreïn. Les produits « Sukuk » (obligations) ont connu en 2014 un intérêt de la part de Goldman Sachs, Dresden Bank, ABN Amro, Barclays, Société Générale ou Deutsche Bank.

Les institutions financières islamiques sont dominées par les banques (74 %), les émetteurs de« Sukuk », l’équivalent islamique des obligations (10 %), les fonds d’investissement (5 %) et les compagnies d’assurance, « Takaful » (1 %). Les pays leaders du secteur concentrent 78 % du CA dans le monde. Le poids de la finance islamique dans ces pays varie fortement. Si en Iran, au Pakistan et au Soudan, seule la finance islamique est autorisée, dans d’autres pays ce secteur représente respectivement les parts de marché suivantes :

Arabie Saoudite : 53 %

Qatar : 24 %

Malaisie : 20 %

Les Emirats : 17 %

Indonésie : 4,6 %

Turquie : 5%

Les perspectives pour 2015 s’annoncent prometteuses :

 

La Banque islamique de développement (BID), créée en 1975 par les pays à majorité musulmane et membre de l’Organisation de la Conférence Islamique, joue un rôle moteur dans la promotion de la finance islamique. Mais depuis une  décennie, la finance islamique est un des axes principaux de son action. Pour la période 2012-2017 veut développer ce secteur. La BID offre des services de conseils, de formation et financement pour les pays désireux de développer ce secteur.   

Critiques sur le fond 

Après cette présentation, nous nous arrêterons sur les principales critiques adressées à la finance islamique. D’abord sur le fond, ensuite sur la forme.

  • Conforter le système néolibéral

« La finance islamique est l’islamisation des moyens et pas l’islamisation des finalités […]Les institutions de la finance islamique confortent le système économique néolibéral », écrit Tariq  Ramadan[5]. D’ailleurs, « les pays apparemment islamiques dans les lois (exemple Arabie Saoudite) sont les plus intégrés dans le système néolibéral fondé sur la spéculation et noyé sur les transactions avec intérêts. C’est la globalité du système qu’il faut questionner », plaide Ramadan. Cette finance ne remet jamais en cause le système économique en place, encore moins le système capitaliste. D’ailleurs, le FMI n’a pas tardé à s’intéresser à ce secteur[6], l’institution internationale recommande d’en faire un instrument « de l’inclusion financière », entendre microcrédit et bancarisation. La Banque mondiale[7] se veut prudente quand au rôle de la finance islamique dans la promotion de la bancarisation. « A peine 7 % des musulmans sans compte bancaire évoquent la religion parmi les obstacles à la détention d’un compte (un pourcentage identique pour les non-musulmans). Les musulmans ont plus de chances de citer le coût, l’éloignement et l’absence de documentation pour expliquer qu’ils n’ont pas de comptes bancaires », écrivent les chercheurs de la Banque.

  • Mimétisme 

Pour Patrick Allard et Djilali Benchabane[8], la finance islamique est « loin d’être un modèle alternatif à la finance traditionnelle car la finance islamique entretient avec un rapport mimétique ».Ainsi, la finance islamique ne s’affranchit pas des méthodes de valorisation de la finance conventionnelle. Pour sa part l’économiste Najib Akesbi  considère que « la finance islamique facture la religiosité de ses clients ». Les services de ce secteur coûtent plus cher que la banque « classique ».

Critiques sur la forme 

  • Ø Spéculation

La finance islamique n’est pas immunisée contre les crises. Fin 2009, la crise du Dubaï World, bras immobilier de l’émirat de Dubaï, est la plus importante crise observée sur le marché des bons d’investissement islamiques (sukuks) (Allard & Benchabane). Au Liban, des lacunes majeures ont été observées dans une banque islamique proche du Hezbollah.

  • Ø L’intérêt

Les banques islamiques empruntent auprès de la Banque centrale du pays de résidence, ou sur le marché privé international avec des intérêts. Il en est de même pour le prêt interbancaire qui comporte des intérêts. La BID a d’ailleurs recours aux taux Libor pour fixer le taux de ces prêts.

  • Ø Produits dérivés

La finance islamique compte depuis 2010, ces propres produits dérivés. Il s’agit de CDS. La référence à la religion ne suffit pas à policer les comportements des acteurs.

  • Ø Les « Charia board »

Ces comités de conseillers religieux travaillent de manière peu transparente, (fonctionnement et prise décision).  Ces savants monnayent chèrement leur avis. La rémunération fixe d’une position dans un charia board excède souvent 200 000 dollars par an, hors les commissions perçues lors de transactions importantes. « Ces théologiens sont devenus de véritables multimillionnaires, parcourant le monde en jets privés », accuse Souaréba Diaby Gassama[9]. Le manque de « savants religieux » qualifiés profite aux mêmes personnes qui siègent au sein des comités de conformité des institutions financières islamiques.

  • Ø Crédit déguisé

 La « Mourabaha » qui est le produit phare de la finance islamique n’est rien d’autre qu’un crédit déguisé et qui est d’ailleurs plus coûteux qu’un crédit conventionnel.

Conclusion

La promesse de départ d’une finance islamique présentant une alternative à la finance « classique » n’est pas tenue. Ce segment se contente d’un vernis éthique et de montage financiers et juridiques pour attirer une clientèle en quête de produits en conformité superficielle avec leurs convictions. Les limites de la finance islamique questionnent la capacité du mouvement islamiste en général à développer des alternatives économiques crédibles. À la lumière des politiques poursuivies par les gouvernements islamistes en Tunisie, au Maroc et en Egypte, il s’avère que ce courant n’a pas d’alternatives sur le plan économique et social. Ces gouvernements se contentent d’appliquer à la lettre les recommandations du FMI[10]. Dans le cas de la finance, ils comptent sur des banques comme HSBC pour pratiquer une finance « éthique ». Un pari perdu d’avance….

M.B. & S.L.


[1]           Timur Kuran, Islam and Mammon. Princeton University Press, 2004

[2]           Ce mouvement hétéroclite adopte une doctrine politique basée sur une lecture des textes et de la tradition islamique pour gouverner.

[3]           Loi canonique islamique régissant la vie religieuse, politique, sociale et individuelle, appliquée de manière stricte dans certains États musulmans. (Les États où la charia est le plus largement appliquée sont, en Asie, l’Iran, l’Arabie saoudite, le Pakistan, l’Afghanistan, l’Iraq, le Yémen, Oman et les Émirats arabes unis, et, en Afrique, le Soudan et une partie du Nigeria)

[4]           Ernest & Youg, World Islamic Banking Competitiveness Report 2013–14, The transition begins

 

[5]           Tariq Ramadan, Les musulmans d’occident et l’avenir de l’islam, Sindbad & Actes Sud, 2003

[6]           Sami Ben Naceur, Adolfo Barajas, and Alexander Massara, Can Islamic Banking Increase Financial Inclusion?IMF working paper, février 2015

[7]           Finance islamique : ce que montrent les chiffres,  http://blogs.worldbank.org/arabvoices/fr/data-driven-perspective-islamic-finance

[8]           Patrick Allard et Djilali Benchabane, La finance islamique : modèle alternatif, postiche ou pastiche ?Revue française d’économie

            2010/4 (Volume XXV) http://www.cairn.info/zen.php?ID_ARTICLE=RFE_104_0011

[9]           Souaréba Diaby Gassama, La finance islamique dévoilée, mars 2014

[10]         Salaheddine Lemaizi, Les islamistes au pouvoir au Maroc: Le néolibéralisme sans complexe,  juin 2013 https://attacmaroc.org/index.php?page=4&postId=466

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